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combattrais avec supériorité, et ce premier succès me rendrait offensif au lieu d’être défensif et déciderait le succès de la campagne pour nous. C’est ce que j’ai essayé à Nerwinde, et ce qui m’aurait complètement réussi si ma gauche avait combattu avec la même vigueur que ma droite.


Il demandait des ordres, il les réclamait avec instance ; il ne put pas les attendre. Le 24, il écrivait à Beurnonville d’Enghien, où il s’était retiré :


Telle est l’affreuse position dans laquelle je me trouve ; il m’a été impossible d’attendre vos ordres sur l’évacuation des Pays-Bas. Ce ne sont pas non plus les ennemis qui m’y forcent, puisqu’on sept jours de combats perpétuels, je les ai toujours tenus en respect et qu’ils mettent même beaucoup moins de vivacité dans leur poursuite. Nous devons toute notre disgrâce à notre propre armée et à sa désorganisation complète…


Ces lettres marquent les étapes de la retraite. La désorganisation de l’armée n’avait pas seulement entravé les plans militaires de Dumouriez, elle ruinait ses plans politiques. Mais il s’était coupé toute retraite en publiant sa lettre du 12 mars. C’est ce qu’il dit à Danton lorsqu’ils se rencontrèrent, dans la nuit du 20 au 21 mars. Danton le conjurait de se rétracter ; Dumouriez répondit qu’il ne le pouvait plus ; il consentit seulement à écrire quelques lignes au président de l’assemblée, lui demandant de ne rien préjuger et d’attendre ses explications. Danton prit le billet et repartit pour Paris.


IV

Dumouriez n’avait plus le moyen de faire la loi à la Convention ; c’était à lui de la subir. Il ne lui restait pas d’illusions à concevoir sur le sort qui l’attendait. Il avait des ennemis acharnés : il aurait été implacable pour eux, il prévoyait qu’ils le seraient pour lui. Ils le feraient mander à la barre, décréter d’accusation, envoyer au tribunal révolutionnaire et de là, selon toute vraisemblance, à l’échafaud. Il n’avait qu’un parti à prendre pour se soustraire à ce danger : passer la frontière. S’il s’exposait, comme La Fayette, aux prisons autrichiennes, il évitait du moins à sa patrie un grand péril, à son nom une ineffaçable flétrissure ; mais il avait perdu l’instinct des grandes vérités simples. Il chercha des tempéramens dans des affaires qui n’en comportent point. Son sens moral était émoussé, et