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au désespoir par la tyrannie de nos agens politiques et financiers. » Et le même jour, à Lebrun : « Je vous ai prédit ce qui résulterait de l’envoi des commissaires du pouvoir exécutif. Le choix en a été mal fait ; la mission était odieuse. J’ai fait replier à Bruxelles ceux d’Anvers ; je vais donner le même ordre à tous les autres qui sont répandus dans les provinces belgiques ; si le conseil ne se hâte pas de les rappeler, je serai forcé de les envoyer tous en France, parce que le salut de la patrie me le commande. »

Jusqu’alors, il n’agissait qu’en chef d’armée. Désormais, il agit en chef de parti. C’est qu’il est résolu à briser avec les révolutionnaires. Il estime qu’il n’a plus ni le choix des moyens ni le temps d’hésiter. Il expédie sa fameuse lettre du 12 mars au président de la Convention. Il y expose l’état désastreux de l’armée, il en accuse l’incurie du gouvernement et sa fausse politique. « Tant que notre cause a été juste, nous avons vaincu l’ennemi ; dès que l’avarice et l’injustice ont guidé nos pas, nous nous sommes détruits nous-mêmes, et nos ennemis en profitent. » Il dénonce les agens de la propagande en Belgique, il proteste contre l’oppression des Belges. « On vous a menti sur leurs intentions ; on a opéré la réunion du Hainaut à coups de sabre et à coups de fusil. » Il montre la conséquence du « fatal décret » du 15 décembre : la révolte de la Belgique. Il demande que la Convention approuve les mesures qu’il a prises « pour sauver l’armée française, l’honneur de la nation et la république elle-même. » Sept mois auparavant, lorsque Lafayette tentait de défendre la constitution et la royauté, le droit existant, en définitive, contre la force brutale et l’émeute, Dumouriez affectait l’indignation. « Il faut, s’écriait-il, terminer l’aventure du crime de Sedan et la rébellion du petit Sylla[1]. » Dumouriez en joue maintenant le personnage, il en a les desseins, il en prend le ton, il veut payer d’audace et il se perd.

Cette lettre était un manifeste de guerre. Elle était écrite et cachetée lorsque les commissaires de la Convention à l’armée du Nord se présentèrent au quartier-général. C’étaient Treilhard, Merlin de Douai, Camus et Gossuin. L’entrevue fut extrêmement vive. Les commissaires reprochent à Dumouriez d’avoir, sans leur aveu, pris des mesures de l’ordre politique contraires aux ordres de la Convention, Il répond en révolté : « Le premier des décrets, c’est le salut public ; la Convention peut de loin être trompée ; elle l’est certainement sur les affaires de la Belgique. Il a porté tout le poids de la guerre, il a l’honneur de la nation et le salut de l’armée à soutenir ; il en est responsable non-seulement à ses supérieurs, mais à la

  1. Lettre à Servan, de Valenciennes, 20 août 1792 (Archives de la guerre).