Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/815

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

j’en avais les moyens immanquables ; il me fallait sacrifier du monde, et les Hollandais me désiraient. Maître de la Hollande, où j’aurais peut-être permis le pillage, je prenais les troupes de la république sur lesquelles je croyais pouvoir compter, et je les incorporais dans mes troupes de ligne qui commençaient à me manquer. Avec une armée aussi formidable, j’entrais dans la Belgique, je la délivrais de ses nouveaux tyrans conventionnaux ; la nation belgique m’eût fourni une nouvelle augmentation à mon armée, à l’aide de laquelle j’attaquais les Autrichiens, les faisais reculer en Allemagne, pour pouvoir ensuite, à la tête d’une armée innombrable et invincible, entrer en France, la constitution à la main, exterminer la république et ses adhérons, rétablir une loi et un roi dans ma patrie, et dicter ensuite la paix au reste de l’Europe. » Le roi dont il parle, eût été Louis XVII régnant sous sa tutelle constitutionnellement avec deux chambres[1]. C’était une aventure, il s’y jeta en véritable aventurier, ne cherchant que les coups d’éclat, visant à surprendre et à éblouir. L’état de son armée l’obligeait du reste aux manœuvres rapides. « Tout manque aux troupes que j’emmène avec moi, » écrivait-il, le 18 février, à Beurnonville. Il chargea l’un de ses lieutenans, Miranda, d’assiéger Maastricht : il avait des intelligences dans la place et pensait qu’elle capitulerait promptement. Cela fait, Miranda marcherait sur Nimègue avec un corps qui, renforcé par une partie de celui de Valence, s’élèverait à 30,000 hommes. Cependant, il s’avancerait lui-même sur la Basse-Meuse, la passerait vers Dordrecht, surprendrait les Hollandais et, rejoint par Miranda, les enfermerait entre deux feux.

Il franchit la frontière, le 17 février, près de Berg-op-Zoom, et lança aux Bataves une proclamation destinée à séparer la nation de son gouvernement. Il menaça de répressions sévères les magistrats qui ordonneraient d’ouvrir les écluses ou de rompre les digues : leurs biens seraient vendus au profit des habitans des pays inondés. C’était habile ; mais il fallait agir très vite, et il fut arrêté à l’embouchure de la Meuse, faute de moyens de passage. Miranda était également arrêté devant Maëstricht : il comptait sur un coup de main, il le manqua, et comme il n’avait point d’artillerie de siège, il lui fallut se borner aux menaces et aux démonstrations. Ces retards permirent aux Autrichiens d’arriver. Clerfayt poussa devant lui le corps de Valence, qui, affaibli par les désertions et disséminé dans des cantonnemens trop étendus, ne présentait pas de consistance. L’archiduc Charles marcha sur Maëstricht ; Miranda se crut perdu, leva le siège la nuit du 3 mars, et se replia sur Liège

  1. Conversation avec Metternich, 18 juin 1793, dans Vivenot, III, 117.