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à secouer le joug de l’Autriche ; la plupart d’entre eux le détestaient uniquement parce que c’était un joug et qu’ils n’en voulaient aucun. Ils tenaient à leurs coutumes. Ils s’étaient révoltés contre Joseph II, parce qu’il avait violé les vieilles chartes et prétendu constituer la Belgique selon l’esprit du siècle, centraliser le gouvernement, subordonner l’église à l’état, dissoudre les congrégations, fermer les séminaires. La liberté, pour les Belges, c’était ce que Joseph II leur avait pris, ce que ses successeurs ne leur avaient rendu qu’à demi. Au lieu de cette liberté, on leur apportait une révolution. Ils trouvaient trop dur le gouvernement des fonctionnaires autrichiens : on les mit au régime des clubistes de Paris. Ils protestaient contre les impôts levés par l’Autriche : on les accabla de réquisitions et de contributions de guerre. Ils réclamaient leurs moines et leurs séminaires : on chassa les moines et on pilla les églises. Ils aspiraient à former une république fédérative : on leur opposa des vœux de réunion, émis dans les grandes villes par quelques centaines de votans. Les bourgeois, très catholiques, prétendaient se constituer en oligarchie paisible, commerçante, prospère, à la flamande : ils se virent soumis à toutes les rigueurs de l’occupation militaire et livrés à l’arbitraire des démagogues. Les Belges se révoltèrent ; c’était inévitable. Dumouriez l’avait annoncé dès le début. Les agens mêmes de la révolution, les commissaires civils du pouvoir exécutif qui, par esprit de prosélytisme autant que par calcul financier, avaient ainsi bouleversé la Belgique et l’avaient mise en coupe réglée, s’aperçoivent du péril et poussent le cri d’alarme. Ce n’est pas qu’ils reconnaissent leur faute, mais ils se sentent faibles et demandent du secours. Ces terribles missionnaires réclament l’appui du bras séculier. « Il faut nous attendre à de grands mouvemens contre-révolutionnaires, écrivent-ils dans les premiers jours de mars. Et que serait-ce si malheureusement nos troupes, qui sont en avant, essuyaient des échecs qui les forçassent à un seul pas rétrograde ? Très certainement alors les Vêpres siciliennes sonneraient dans toute la Belgique sur les Français, sans que les patriotes belges, tremblans pour eux-mêmes, pussent leur être d’un grand secours. » Tel était le pays que Dumouriez allait évacuer pour se jeter sur la Hollande, tandis que les Autrichiens se reformaient sur le Rhin, menaçaient de le tourner et de couper ses communications. Il n’en partit pas moins. C’est qu’il ne voyait plus de remède, même à ces troubles de la Belgique, que dans l’expédition de Hollande.

« Je voulais, disait-il quelques semaines après à un étranger qui l’interrogeait sur ses plans[1], je voulais pénétrer en Hollande :

  1. Conversation avec le comte Stahremborg à Bruxelles le 10 avril 1793, Vivenot, III, page 4. — Cf. Dumouriez, Mémoires, livre VIII, chap. I.