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direction. Tout est contradictoire dans leurs mesures, en ces semaines agitées : ils détruisent tour à tour leurs propres desseins. Dumouriez échoua dans tous ceux qu’il avait conçus. Il vit périr Louis XVI, il vit triompher le système révolutionnaire qu’il combattait, il vit la guerre générale désirée par les passions des gouvernails, nécessitée par leurs actes. Il partit le 26 janvier, « le désespoir dans l’âme. » Il espérait encore tenter une négociation avec l’Angleterre ; il chercha même à s’aboucher avec lord Auckland, ministre de la Grande-Bretagne en Hollande ; mais il n’en eut pas le temps. Les Anglais étaient décidés à la guerre. Le 3 février, la Convention la leur déclara ; elle la déclarait en même temps à la Hollande. Le 6, Lebrun écrivit à Dumouriez : — « Les dédains et les insultes » du ministère anglais avaient rendu la guerre inévitable ; les préparatifs de l’Angleterre avaient obligé la France à la prévenir. « Ces puissans motifs, les mêmes qui ont provoqué, sous votre ministère, la déclaration de guerre contre le roi de Hongrie, ont engagé la république française à se décider contre le roi George et le stathouder, et à mettre un terme aux longues incertitudes du public. » — Le rapprochement n’était point sans ironie ; Dumouriez le sentit peut-être ; mais il n’avait pas le temps de se livrer à l’amertume de ses réflexions. On lui commandait de marcher sur la Hollande, et, quelque périlleuse que fût l’entreprise, il ne voyait plus pour sa personne et pour la France d’autre moyen de salut. Il fallait vaincre à tout prix. Cependant, malgré sa confiance en lui-même, il doutait de la victoire. C’est que les conditions, très mauvaises en décembre, étaient devenues pires, et sous tous les rapports, « Tout me manque, écrivait-il à Lebrun… Il faut un cas aussi désespéré que celui où nous nous trouvons pour que j’entreprenne une expédition pareille avant d’être pourvu de tous les moyens nécessaires pour y réussir… » Il était dans et un dénûment absolu ; » toutefois le plus grand péril ne venait pas de là : « Ce qui me fait le plus de mal et ce qui m’engage à tout hasarder, écrivait-il à Beurnonville, qui avait remplacé Pache à la guerre, c’est le danger de l’insurrection totale de la Belgique[1]. »

C’était la conséquence du décret du 15 décembre et de la manière brutale dont on avait appliqué aux Belges ce code de la propagande armée et de la conquête révolutionnaire. La lutte a ses nécessités : prendre l’offensive afin de n’être point attaqué, occuper le territoire de l’ennemi pour le forcer à la paix, vivre à ses dépens pour qu’il ne vive point aux nôtres ; c’est le fond même de la guerre. Mais les Belges n’étaient point l’ennemi. La France les avait invités

  1. Dumouriez à Lebrun, 4 février ; à Beurnonville, 5 février 1793.