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peuples. » La constitution ne comporte que des alliances défensives ; l’objet principal en sera la défense des peuples libres que la France aura aidés à s’émanciper ; mais il faut se garder de l’ambition qui tend à s’insinuer sous le masque de la générosité :


Après avoir reconnu que le territoire de la république suffit à la population et aux immenses combinaisons d’industrie que doit faire éclore le génie de la liberté ; après s’être bien persuadé que le territoire ne pourrait être étendu sans danger pour le bonheur des anciens comme pour celui des nouveaux citoyens de la France, on doit rejeter sans détour tous ces projets de réunion, d’incorporation étrangère qui pourraient être proposés par un zèle de reconnaissance ou d’attachement plus ardent qu’éclairé ; on doit être convaincu que toute acceptation ou même tout désir public de ce genre de la part de la France contrarierait d’abord sans honneur et sans profit, ensuite avec péril pour elle, ces renonciations faites si solennellement et avec tant de gloire, et dont l’Europe est loin d’attendre l’inexécution au moment où elle s’unit par ses vœux au succès d’une cause qu’elle croit ne pouvoir être souillée ni par l’ambition ni par l’avidité. La France doit donc rester circonscrite dans ses propres limites ; elle le doit à sa gloire, à sa justice, à sa raison, à son intérêt, et à celui des peuples qui seront délivrés par elle.


Ces peuples : les Savoisiens, les Belges, les Liégeois, la France les protégera, elle formera avec eux des traités de garantie et de commerce. Elle en formera de semblables avec l’Angleterre rassurée, et, s’unissant pour une des plus vastes opérations de la politique moderne, les deux anciennes rivales travailleront à émanciper les colonies espagnoles. La France surtout en profitera. « Après une révolution, il faut ouvrir de nouvelles routes à l’industrie, il faut donner des débouchés à toutes les passions : cette entreprise réunit tous les avantages. » Ces vues de Talleyrand, qui se rattachaient avec une telle fermeté de bon sens aux idées fondamentales du plan politique de Dumouriez, paraissent avoir vivement frappé le gouvernement de Paris. On assure même que Danton se fit faire de ce mémoire une copie que l’on retrouva dans ses papiers. S’il lut ces considérations si sages, le fougueux tribun ne s’en pénétra guère. Cependant les rapports de Chauvelin, ceux de l’ex-abbé Noël, qu’on lui avait adjoint, ceux de Maret, que l’on venait d’envoyer à Londres pour les seconder tous les deux, aboutissaient à la même conclusion : la propagande armée, la conquête dissimulée sous forme d’affranchissement, le procès de Louis XVI, l’ouverture de l’Escaut, les menaces adressées à la Hollande, tout concourait à