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A l’exception de Pache, qui ne s’appartenait pas et qui d’ailleurs ne comprenait rien, le conseil était encore tout acquis à Dumouriez. Loin de songer à accepter sa démission, il formait le dessein de lui confier une nouvelle entreprise. Pressé par les patriotes hollandais, qui sollicitaient son appui pour renverser l’aristocratie, le conseil songeait à fortifier sa future domination en Belgique par une révolution qui substituerait en Hollande à un gouvernement hostile un gouvernement ami. Il ordonna, le 16 novembre, à Dumouriez de poursuivre les Autrichiens, même sur le territoire hollandais, dans le cas où ils s’y retireraient. En même temps, pour donner satisfaction à un vœu fort ancien des Belges, il déclarait libre la navigation de l’Escaut, que les traités réservaient aux Hollandais. Ces deux mesures impliquaient une guerre contre la Hollande. Lebrun ne le dissimulait pas : « A la gloire d’avoir affranchi les Belges catholiques, écrivait-il à Dumouriez[1], j’espère que vous joindrez celle de délivrer leurs frères stathoudériens. » Dumouriez y était tout disposé. Il était en relation avec les comités des patriotes bataves, et il comptait sur une révolution pour le jour où il entrerait en Hollande. Il espérait pouvoir le faire au mois de janvier[2]. Il était tout feu : l’ardeur conquérante du militaire étouffait en ce moment chez lui la prudence du politique. L’enthousiasme général le gagnait. Il écrivait à Custine, le 29 novembre : « Il est certain que nous ne devons pas poser les armes avant de nous être assurés que le Rhin servira de limites à notre empire ; soit par agrégation de républiques libres, sous notre protection, soit par acceptation des peuples qui s’offriront à nous et entreront dans la composition de l’empire français. Les gens timides diront que c’est aller contre nos principes et nous jeter dans les conquêtes. Il y a à leur répondre qu’il y a une différence entre conquérir, qui est un acte de violence, et recevoir dans son sein les peuples qui s’offrent volontairement, ce qui est un acte de fraternité. »

L’invasion de la Hollande pouvait cependant avoir pour conséquence une guerre avec les Anglais, alliés intimes et protecteurs avoués du gouvernement hollandais. Dumouriez, quittait en veine de chimères, affectait à cet égard la plus étonnante confiance. L’expédition serait si vite faite que l’Angleterre n’aurait pas le temps de s’y reconnaître. D’ailleurs, la France la menacerait et la séduirait à la fois ; elle la mettrait en demeure de choisir entre une guerre maritime et l’immense bénéfice que lui donnerait l’affranchissement des colonies espagnoles. « Maîtres de la marine hollandaise, écrivait

  1. Lebrun à Dumouriez, 23 novembre 1792.
  2. Dumouriez à Lebrun, 30 novembre 1792.