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pour l’être. Joignez vos citoyens aux nôtres pour chasser les Allemands. Nous sommes vos amis, vos frères. » C’est ainsi qu’il entendait la conquête de la Belgique ; c’est ainsi qu’il l’opéra au milieu de la soumission empressée des peuples, qu’il rassurait sur leur sécurité et dont il flattait les instincts d’indépendance. Le 28 novembre, il atteignait Liège : il s’y arrêta pour refaire son armée et organiser la république belge. Ces deux objets exigeaient tous ses soins. Il se heurta partout au même obstacle : l’opposition que le parti révolutionnaire, dominant à Paris, fit désormais à sa personne et à ses plans. Il était en lutte ouverte avec Pache, ridicule commis de la commune dans les bureaux de la guerre, étrange ministre qui semblait s’être donné pour tâche de désorganiser la victoire. Pache envoyait des émissaires où il fallait des intendans. Ses agens, qui s’occupaient de propagande démagogique beaucoup plus que d’approvisionnemens, exaspéraient les Belges par leur tyrannie et leurs réquisitions. L’armée, réduite à vivre sur le pays, le vexait inutilement, « Quoique mes progrès vous paraissent très rapides, écrivait Dumouriez à Lebrun[1] le 22 novembre, je n’en juge pas de même. Je manque de tout et je suis obligé de m’arrêter souvent, faute de moyens, quoique mon armée soit pleine d’ardeur et de volonté. Si l’effroi des Autrichiens n’était pas si grand, ils m’arrêteraient souvent, car cette armée diminue beaucoup par la désertion des volontaires, grâce au décret qui a prononcé trop tôt que la république n’était plus en danger. » Un de ses lieutenans, La Bourdonnaye, avait frappé des contributions écrasantes à Tournay. Dumouriez les leva, et demandant le rappel de La Bourdonnaye ; il écrivait à Pache : « Ce général agit en conquérant, ses agens menacent les villes d’exécution militaire comme les Prussiens faisaient en Champagne. Je ne serai ici ni l’Attila ni le fléau de la Belgique. » Espérant être mieux écouté et mieux compris de Lebrun, il lui mandait : « Je vous annonce que j’ai beau battre les Autrichiens, cette superbe expédition se terminera mal, parce qu’on contrarie tous mes plans, parce qu’on tyrannise le pays, parce que des spéculateurs avides, soutenus par les bureaux de la guerre, accaparent toutes les subsistances, sous prétexte de nourrir l’armée, et la laissent manquer de tout. Mon indignation est à son comble ; cependant j’irai jusqu’à Liège, j’y planterai l’arbre de la liberté, et lorsque j’aurai (posé les quartiers d’hiver sur la Meuse, j’enverrai ma démission. Il faut que tout le monde concoure à mes plans ou que je les abandonne tous[2]. »

  1. Ministre des affaires étrangères.
  2. Dumouriez à Lebrun, 23 et 24 novembre 1792.