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raviver les défiances contre la démocratie et faire prévaloir une politique de pessimisme et de résistance.

Au milieu du désarroi des partis et de l’effarement de l’opinion, les inquiétudes du pays donnaient aux défenseurs attitrés de l’église un ascendant qui eût paru inouï quelques mois plus tôt. Leurs chefs surent le mettre à profit avec un singulier esprit politique. Parmi les plus jeunes députés de la fin du dernier règne, les catholiques avaient rencontré un homme d’état de race, chez lequel un tact politique inné tenait lieu d’expérience, un homme d’un esprit à la fois fin et élevé, d’une éloquence noble et simple, possédant à un haut degré la première qualité d’un homme de gouvernement, le sens pratique. Plus froid que Montalembert, qui était plutôt un agitateur qu’un chef de parti, moins accessible à l’engouement comme au découragement, M. de Falloux était par là même plus propre à la direction d’un gouvernement et à la conduite des affaires. Ce fut l’homme politique des catholiques ; il avait l’avantage de n’avoir d’illusions ni sur les personnes ni sur les choses. Les catholiques les plus illustres, au dedans et au dehors des assemblées, étaient du reste d’accord. Si, en décembre 1848, M. de Falloux fit taire ses répugnances à entrer au ministère, ce ne fut que sur les instances, ou mieux sous la pression de Montalembert et de Dupanloup[1]. Les rivalités de personnes leur étaient absolument étrangères, ils ne songeaient qu’à la défense de la cause commune et ils étaient d’accord sur la tactique à suivre. A l’opinion publique, encore mal remise des terreurs de juin, à la société en péril, ils offraient le secours de la seule force restée debout, la religion. Dans le désordre qui suivait la tempête, au lendemain de la secousse où l’état avait cru périr, leur voix fut entendue. Ils trouvèrent comme allié un de leurs plus redoutables adversaires de la veille, M. Thiers. La bourgeoisie sceptique avait, devant le déchaînement populaire, perdu l’assurance de son optimisme. Ainsi s’explique la loi sur l’enseignement de 1850. Pour les catholiques qui la provoquèrent, comme pour les politiques qui l’acceptèrent, ce fut avant tout une loi de salut social.

Nous n’avons ici ni à étudier ni à juger cette loi fameuse. Nous pourrions pour cela renvoyer au jugement porté par un ancien universitaire, demeuré fidèle au principe de liberté[2]. Cette loi, que l’on a comparée à l’édit de Nantes et au concordat, était à bien des égards, tout comme le concordat et l’édit de Nantes, un compromis,

  1. M. de Falloux en a fait lui-même le récit dans un volume sur l’évêque d’Orléans.
  2. Voyez Dieu, Patrie et Liberté, par M. Jules Simon ; et aussi la Liberté d’enseignement et l’Université sous la troisième république, par M. Emile Beaussire.