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qui, à la courte échéance de quinze ou vingt ans, viennent périodiquement renverser les gouvernemens de la France.


VI

La révolution de 1830 avait été en grande partie faite contre le clergé, celle de 1848 fut faite sinon pour lui, du moins à son profit. Quel changement en moins d’une génération ! Le peuple qui, dix-sept ans plus tôt, saccageait l’Archevêché et poursuivait dans les rues le costume ecclésiastique, appelait le clergé à bénir ses frêles arbres de la liberté. La première assemblée élue par le suffrage universel inscrivait le nom de Dieu au fronton de sa constitution républicaine. Les catholiques qui avaient donné à leurs coreligionnaires le mot d’ordre de liberté eussent pu réclamer le mérite de ce prompt revirement populaire. Ils recueillaient alors, avec le bénéfice de la froideur ou des ombrages que leur avait témoignés la monarchie de juillet, le bénéfice de leur indépendance vis-à-vis de la royauté déchue, et aussi de la popularité que valait alors partout au clergé l’attitude du nouveau pape, Pie IX.

Aucun parti n’était mieux préparé à profiter d’une révolution qu’ils n’avaient pas appelée, mais qui semble les avoir moins surpris que la plupart des vaincus ou des vainqueurs du jour. Libres pour le plus grand nombre de toute attache dynastique, ils se déclaraient par la bouche de Montalembert « prêts à descendre dans l’arène avec leurs concitoyens pour revendiquer toutes les libertés politiques et sociales[1]. » Ils étaient disposés à s’associer loyalement aux espérances et aux expériences de la nation. Comme la révolution de février se montrait respectueuse de l’église, ils pouvaient sans scrupules faire bon visage à la république. Les plus ardens, Ozanam et l’abbé Maret, depuis évêque de Sura, fondaient, sous la direction de Lacordaire, un journal républicain catholique, l’Ère nouvelle, qui sembla reprendre le programme politique de l’Avenir. L’Univers ne restait pas en arrière ; il était de ceux qui prêchaient que la démocratie n’était qu’une application du christianisme et que la révolution de 1848 était l’avènement de la pensée chrétienne dans le gouvernement de la société. Tous étaient loin d’aller jusque-là ; mais la plupart parlaient le langage du temps et, comme bien d’autres, ils le parlaient avec la sincérité de l’illusion et l’espèce d’abandon confiant qui accompagne les premières semaines des révolutions. Les journées de juin vinrent bientôt, parmi eux comme dans le pays presque tout entier, décourager les optimistes,

  1. Montalembert ; Manifeste du 28 février 1848.