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la main, s’encourageant et s’excitant, se modérant et se complétant réciproquement. Dans cette brillante et jeune armée, s’il y avait déjà des actes d’indiscipline, spécialement du côté de la presse et de l’Univers, il n’y avait pas de rébellion ni encore moins de guerre civile.

À cette époque, Montalembert était le chef reconnu de tous les catholiques, et l’abbé Dupanloup payait les amendes de M. Veuillot. Le père Lacordaire, se rappelant les divisions passées, ne soupçonnant pas encore les querelles prochaines, traçait dans une lettre familière un piquant tableau de l’union qui régnait entre les catholiques : « Il n’y a pas quinze années encore, écrivait l’ancien rédacteur de l’Avenir, il y avait, des ultramontains et des gallicans, des cartésiens et des menaisiens, des jésuites et des gens qui ne l’étaient pas, des royalistes et des libéraux ; .. aujourd’hui tout le monde s’embrasse, les évêques parlent de liberté et de droit commun ; on accepte la presse, la charte, le temps présent. M. de Montalembert est serré dans les bras des jésuites, les jésuites dînent chez les dominicains, il n’y a plus de cartésiens, de menaisiens, de gallicans, d’ultramontains, tout est fondu et mêlé ensemble[1]. »

En effet, Montalembert à la tribune, Lacordaire et Ravignan dans la chaire de Notre-Dame, Ozanam à la Sorbonne, Dupanloup dans ses brochures, Veuillot dans son journal, combattaient pour la même cause, sinon avec les mêmes armes, du moins sous le même drapeau ; Les premières dissidences datent de la fin de la monarchie de juillet, et elles portaient plutôt sur le ton de la polémique que sur le fond. Elles ne devaient éclater qu’en 1849, à l’heure de la victoire, ainsi qu’il arrive souvent. Jusque-là, il n’y avait guère entre les champions du catholicisme que des différences de talent, de tempérament, d’éducation, d’où devaient, il est vrai, naître en partie les divergences de vues après les dissonances de ton et d’attitude. Chacun, en effet, en servant à son poste la cause commune, se ressentait de son origine autant que de son caractère : Montalembert, conservant à travers la foi chrétienne et le dédain des privilèges la fierté aristocratique du gentilhomme, avec quelque chose de hautain et de chevaleresque à la fois ; Lacordaire, le moine-citoyen, qui se déclarait pénitent catholique et libéral impénitent, inaccessible aux timidités et aux découragemens vulgaires, ayant sous la robe de bure, comme naguère sous la robe de l’avocat, gardé la généreuse confiance de la bourgeoisie de 1830 ; Dupanloup, le prêtre doublé de l’humaniste classique, « vrai homme de guerre par nature, » homme de tradition et d’autorité par

  1. Lettre à Mme Swetchine, 18 juin 1844.