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direction de Montalembert. Ce fut sous ce jeune et brillant leader que s’organisa ce qu’on appela le parti catholique ; et, de fait, vers le milieu de la monarchie de juillet, l’immense majorité des catholiques était d’accord avec Montalembert. Prêtres et laïques se réclamaient plus ou moins nettement de la liberté, jaloux de combattre les ennemis de l’église avec leurs propres armes.

Durant la longue campagne pour la liberté de l’enseignement, les catholiques obéissaient tous au même mot d’ordre. Dans les écrits et les conférences des apologistes, dans la polémique des journaux catholiques, dans les mandemens des évêques, revenait sans cesse le nom de liberté. Anciens amis et anciens adversaires de La Mennais s’étaient tous ralliés sous le même étendard, y voyant avec la promesse d’utiles alliances un sûr gage de victoire. Les représentans les plus autorisés de la tradition ecclésiastique, les hommes les plus imbus de l’esprit sacerdotal et les moins enclins aux nouveautés, tels que l’abbé Dupanloup, qui s’était naguère réjoui de la condamnation de La Mennais et s’y était même employé[1] laissaient de côté leurs vieilles défiances et marchaient d’accord avec le jeune paladin de l’église et de la liberté. Tous, chose nouvelle alors et trop vite oubliée, s’entendaient pour revendiquer la liberté au nom même de la liberté, invoquant l’esprit moderne, tout comme les philosophes, et les conquêtes de la révolution, tout comme les tribuns de la presse ou des chambres. Ainsi l’abbé Dupanloup, qui, à travers les vivacités de sa polémique et l’impétuosité de sa dialectique, eut toujours soin de se tenir à l’écart des thèses risquées et restait en-deçà de beaucoup d’évêques. Alors qu’aujourd’hui même la liberté semble encore à tant de nous l’état de guerre perpétuel, le futur évêque d’Orléans écrivait dès 1845 ce mot profond : « La liberté, c’est la paix. » Dans une sorte de manifeste intitulé la Pacification religieuse, il acceptait au nom du clergé « le véritable esprit de la révolution française » et en invoquait les bienfaits, tout en « en déplorant avec M. Thiers les erreurs et les excès. » — « Vous avez fait la révolution de 1789 sans nous et malgré nous, mais pour nous, » ne craignait pas de conclure le supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas. Et en tenant ce langage, l’abbé Dupanloup, et le clergé dont il était déjà le plus retentissant porte-voix, n’exigeaient rien de plus que la liberté et le droit commun. Cette formule : « La liberté pour tous, sans privilège comme sans exception, » employée par l’archevêque de Tours, était admise de la plupart des évêques[2]. « Nous disions fièrement, a écrit plus tard Montalembert, la vérité a besoin de

  1. Voyez la Vie de Monseigneur Dupanloup, par l’abbé Lagrange, t. Ier p. 131-134.
  2. Ibid., t. Ier, p. 348-349.