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ces ardens et téméraires champions de l’église à n’être qu’un écho prolongé du romantisme, comme il serait inique de n’y voir qu’un contre-coup de la révolution de juillet. Telle n’est pas notre pensée ; mais ce n’est point faire injure à ces vaillans esprits que de retrouver chez eux, dans leur langue, dans leurs idées, dans leurs espérances ou leurs illusions mêmes, la trace à demi effacée des courans intellectuels qui, avec le romantisme, ramenaient partout en Europe des sentimens nouveaux, élargissaient pour le cœur et l’esprit les horizons bornés du XVIIIe siècle, réagissaient contre la sécheresse de sa philosophie et de sa littérature, rendaient avec l’intelligence de l’art gothique le goût et le sens du moyen âge, et presque partout ramenaient les imaginations, sinon les âmes, à la religion et à l’église en les faisant remonter au-delà de Voltaire et de Luther, jusqu’aux âges chrétiens. Les poètes qui dans les traditions catholiques cherchaient avant tout des couleurs, des images, des sensations nouvelles ou non encore usées, le dilettantisme religieux de Chateaubriand, de Lamartine, de Hugo lui-même, devaient ouvrir la voie à des esprits plus graves et à la fois plus tendres, moins épris de formes d’art ou de vaporeuses rêveries qu’altérés de foi et d’amour, dont la religion, au lieu de flotter dans l’imagination, pénétrerait au fond du cœur et de l’âme, pour lesquels le christianisme ne resterait pas un brillant thème à variations poétiques et sentimentales, qui, non contens de retrouver l’art catholique et l’architecture ogivale, prétendraient restaurer le catholicisme et y ramener la société en lui montrant qu’elle n’avait pour cela rien d’essentiel à sacrifier. Au lieu de se borner à demander à la religion et au christianisme le renouvellement du champ épuisé de l’art, ils devaient lui demander le rajeunissement d’une société vieillie.

Est-ce à dire que ceux qu’on a improprement surnommés les néo-catholiques fussent des hommes du moyen âge, des revenans du passé ? Non assurément, pas plus que les poètes de France ou d’Allemagne qui dans leurs vers se plaisaient à faire revivre l’âge de la chevalerie. Peu d’hommes en réalité, parmi tous leurs contemporains, furent plus de leur temps, en eurent à un plus haut degré le sens, l’instinct, les goûts, les émotions, les aspirations ; ces premiers catholiques libéraux furent plus modernes que la plupart de leurs adversaires de l’un et l’autre bord, de même que les romantiques étaient, à travers toutes leurs exagérations et leurs travestissemens exotiques, plus modernes, plus vivans que les néo-classiques. Comme chez les romantiques, dont nous ne les rapprochons ici que pour les mieux comprendre, chez les premiers catholiques libéraux, l’amour du passé, loin de rien avoir de sénile ou de servile, avait quelque chose de jeune et de libre, presque d’insurgé et