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de la pensée humaine et des partis politiques. Ce qui, en pareil cas, importe avant tout, c’est moins l’enchaînement logique des idées que leur filiation historique et l’enchaînement des faits. Or rien de plus simple à cet égard, rien de moins mystérieux que l’origine des catholiques libéraux et la naissance de l’école de ce nom. Elle est sortie spontanément de la révolution de 1830, du mouvement d’idées et de la situation politique qui l’ont accompagnée. A en suivre les premières manifestations et les plus brillans initiateurs, cette école catholique libérale provient, nous semble-t-il, d’une double impulsion d’ordre bien différent et inégal, de la révolution de juillet d’abord, du romantisme littéraire ensuite. La première fit soudainement éclore les germes obscurs au loin semés par le dernier.


II

Il est des saisons de printemps intellectuel où, dans tous les domaines, les idées semblent se renouveler. Telle a été la restauration, telles ont été les premières années de la monarchie de juillet, ce qu’on peut appeler la jeunesse ou l’adolescence du siècle. C’était l’époque où le romantisme, exalté au souffle de la révolution, se répandait en tous sens, prétendant rajeunir le présent au nom du passé, mêlant dans ses bizarres hardiesses les réminiscences du moyen âge aux utopies incohérentes de l’avenir. Malgré ses excès et ses puérilités, un pareil mouvement ne pouvait demeurer sans écho chez les catholiques qui en avaient recueilli les prémices avec Chateaubriand et le Génie du christianisme. À ce romantisme littéraire, à la fois conservateur et révolutionnaire, épris en même temps de restauration et d’innovation, sorte de Janus, jeune et vieux simultanément bien qu’essentiellement moderne sous son déguisement moyen âge, mais à un romantisme plus sérieux, plus convaincu, plus conséquent, moins de mots que d’idées, moins de forme que de fond, se rattachaient par plus d’un trait, à leur insu même, moins par le style et le tour de l’imagination que par le sentiment et le tour de la pensée, les premiers apôtres du libéralisme catholique, et La Mennais, demeuré par l’ampleur de la phrase comme par la chaleur et la couleur de la langue, l’un des maîtres de la prose nouvelle et des initiateurs de la poésie sans vers ; et Lacordaire, autre poète en prose, le grand romantique de la chaire, qui couvre en vain ses images et ses métaphores de noms ou de souvenirs classiques ; et Montalembert lui-même, le traducteur des Pèlerins polonais de Mickiewicz et le pieux historien de la « chère Sainte Elisabeth. »

Certes, il serait souverainement injuste de réduire l’initiative de