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Il a cru sans doute pousser le ministère dans ses derniers retranchement et le contraindre à dissoudre le parlement, à en appeler au pays, espérant profiter, dans des élections nouvelles, des mécontentemens causés par la politique extérieure du cabinet. M. Gladstone, de son côté, a vu le piège et ne s’est pas laissé prendre à cette tactique. Appuyé sur une majorité considérable dans les communes, sur l’opinion libérale dans le pays, il n’a pas vu la nécessité de faire l’expérience d’une dissolution pour conquérir une majorité qu’il a déjà. Il s’est montré prêt à entrer dans toutes les négociations, disposé à la conciliation, et, puisque rien n’a réussi à désarmer la résistance des conservateurs de la chambre des pairs, il se trouve jusqu’à un certain point dégagé ; il reste le chef incontesté des communes et des libéraux d’Angleterre, libre de reprendre la lutte à la session d’automne.

Qu’en résulte-t-il ? C’est que la situation devient évidemment des plus critiques et que, dès ce moment, s’ouvre une campagne d’agitation, organisée sous le prétexte de vaincre la résistance des pairs à la réforme, dirigée en réalité contre les lords et leurs privilèges, contre l’institution même de la chambre haute d’Angleterre. Déjà les démonstrations et les meetings ont commencé. La première manifestation a eu lieu, il n’y a que quelques jours, en plein Londres, à Hyde-Park. Les manifestans n’étaient peut-être pas, comme on l’a dit, au nombre de cent mille ou de cent cinquante mille ; ils étaient plus probablement, sans parler des curieux, quelque trente mille qui ont parcouru les rues de Londres jusqu’à Hyde-Park, promenant leurs emblèmes et leurs drapeaux, vociférant quelque peu devant Carlton-Club ou devant l’hôtel de lord Salisbury, criant surtout : « A bas les lords ! » Ils ont écouté des discours, signé des résolutions en faveur du ministère, protesté contre les votes d’une chambre de privilégiés, « irresponsable et sans mandat. » Au demeurant, tout s’est passé avec un certain ordre, au moins sans tumulte et sans accident. Ce n’est là évidemment que le début d’une agitation qui va se propager, d’une série de meetings qui vont se succéder dans les principales villes d’Angleterre, et où les ministres eux-mêmes auront sans doute leur rôle. Les libéraux sages et prévoyans, à vrai dire, n’en sont point à se dissimuler le danger d’une campagne de ce genre, et, l’autre jour, dans une réunion provoquée par M. Gladstone au foreign office, M. Goschen n’a point caché ses craintes. Il a commencé par déclarer qu’on devait se garder des « attaques immodérées, » des violences qui ne feraient qu’humilier ou irriter les lords en les encourageant à la résistance. Le ministère pense vraisemblablement comme M. Goschen ; mais dans ces mouvemens populaires, ce ne sont pas les modérés qui sont les plus nombreux ou qui gardent toujours l’ascendant, et, à côté de M. Goschen, voici M. Bright, qui, malgré ses soixante-treize ans et ses projets de