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poursuit pas moins son but. Il ne se perd pas dans des subtilités, il met ses vœux et même ses exigences dans une formule simple, souvent dans un mot net et retentissant. Où a-t-on distingué rien de semblable aujourd’hui ? Où a-t-on vu une trace, un signe de ce mouvement populaire dont la réforme proposée par M. le président du conseil, portée par lui à la chambre des députés et au sénat, serait l’expression ? Cette révision, c’est l’œuvre de tacticiens dans l’embarras, de casuistes parlementaires, et rien ne prouve mieux ce qu’il y a de superficiel et de factice dans un travail ainsi poursuivi, que ces discussions qui se sont succédé depuis quelques jours, qui ont offert le curieux spectacle de toutes les impuissances, de toutes les subtilités. Que faire pour arriver à tout dire et à ne rien dire ? Comment mettre d’accord les deux assemblées sur un même projet de façon à rendre le congrès possible ? Retirera-t-on de la constitution tout ce qui a trait à l’élection des sénateurs ? Soumettra-t-on à la révision l’article 8 sur les attributions financières du sénat, au risque de désarmer la première chambre de son droit de contrôle ? La chambre des députés a voté sa résolution, où elle a inscrit, sur la proposition du gouvernement d’ailleurs, la révision de ce légendaire article 8. Le sénat a son programme, où il n’admet pas la révision de l’article 8. M. le président du conseil va de l’un à l’autre, ajoutant ses propres contradictions aux contradictions qui ne manquent pas dans les deux chambres. Et on veut que le pays se passionne pour ces manœuvres, qu’il s’intéresse à ces jeux de coulisses parlementaires ? Il les voit de loin, il aurait de la peine à les comprendre. Les sénateurs et les députés eux-mêmes ne comprennent sûrement pas toujours ce qu’ils votent ; ils finissent par ne plus savoir où ils en sont, et, à travers tout, ce qui souffre le plus de ces confusions, c’est le régime parlementaire faussé, altéré, abaissé, réduit à n’être plus qu’une vaine et puérile représentation sans dignité comme sans efficacité.

On dirait en vérité que toutes ces incohérences se sont concentrées dans un dernier incident qui serait presque comique s’il ne s’agissait pas d’intérêts si sérieux. Il n’y a que peu de jours encore, le sénat, plein de perplexités, était à discuter sur ce fameux article 8, qu’il allait visiblement refuser de livrer aux chances de la révision. Survient à l’improviste un amendement proposant d’admettre la révision au sujet des attributions financières de l’assemblée du Luxembourg, mais à la condition qu’un certain nombre de services publics réglés par des lois organiques resteront à titre permanent dans le budget et ne pourront être supprimés. Que va faire le sénat ? Se laissera-t-il ébranler par cette proposition spécieuse qui a l’air de mettre à l’abri les premiers services de l’état, et livrera-t-il à ce prix l’article 8 ? C’est peu probable, il parait toutefois hésiter. Là-dessus intervient brusquement M. le président du conseil, qui supplie pathétiquement le sénat de suspendre