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aventurer sur celui de « l’utilitarisme. » Mais si ces observations n’étaient pas inutiles à faire, les voilà faites.

Il faudrait maintenant pouvoir en « édulcorer » l’amertume, — comme dirait M. Léon Hennique, — à défaut de quelques complimens, au moins par quelques consolations. Et nous ne demanderions pas mieux, si en effet nous le pouvions. Mais, nous attendrons les autres à leur prochain roman, et puisque c’est surtout de M. Karl Huysmans et de M. Guy de Maupassant que nous avons parlé jusqu’ici, c’est d’eux seuls que nous dirons encore quelques mots.

M. Karl Huysmans a de la verve, et, en dépit de ses affectations de pessimisme, il a de la gaîté, une grosse gaîté, qui lui a souvent inspiré de bien mauvaises pages, de la gaîté cependant, et c’est toujours quelque chose. Je ne sais s’il se doute lui-même comme il est gai. Il me semble bien aussi qu’il a l’œil d’un observateur, quoique jusqu’ici son observation n’ayant porté sur rien de très intéressant, on n’en puisse encore dire très exactement la valeur. Sauf dans son dernier roman, A Rebours, qui est une tentative que l’on ne peut pas humainement l’engager à recommencer, dans ses précédens écrits : les Sœurs Vatard, Marthe, En Ménage, il n’a guère étudié que l’unique matière dont M. Daudet vient de s’emparer à son tour en composant Sapho. Trois volumes sur ce sujet, qui prête un peu trop à des peintures trop libres, qui n’a rien par lui-même de bien séduisant, et qui ne vaut enfin que ce que valent eux-mêmes les personnages que le hasard on leur mauvaise fortune a engagés dans de telles aventures, c’est beaucoup ; car les personnages de M. Huysmans ne valent pas grand’chose, — psychologiquement s’entend, — et les situations burlesques où il aime à les placer l’ont toujours empêché d’apercevoir clairement et de traiter la situation principale. Au résumé, ce sont les Scènes de la vie de bohème récrites comme qui dirait dans le style de l’Assommoir. Si j’ajoute après cela M. Huysmans ne manque malgré tout ni d’esprit ni d’idées, ce n’est pas que je me fasse aucune illusion sur l’érudition facile et l’originalité factice de son dernier roman. Je ne crois pas toutefois me tromper trop grossièrement ; — et le jour où M. Karl Huysmans m’aura donné complètement raison, sa part, comme on voit, ne laissera pas d’être assez belle.

Le cas de M. Guy de Maupassant est un peu plus compliqué. Tous les défauts qu’exige l’esthétique naturaliste, il les a, mais il a aussi quelques qualités qui sont assez rares dans l’école. Ainsi, j’ose à peine l’en féliciter, mais il y a chez lui quelques traces de sensibilité, de sympathie, d’émotion : dans le Papa de Simon, par exemple, dans En Famille même, dans Miss Harriett, dans une Vie. D’intempérans admirateurs ont trop loué son talent descriptif. J’aime assez sa Normandie, beaucoup moins son Algérie, bien moins encore sa Bretagne. Ce n’est