Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/707

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Si maintenant le vaudeville, à cette ressource du style épileptique, ajoute celle de l’intrigue, le roman naturaliste dispose, lui, de celles de l’équivoque et de l’obscénité. Non sans douté que le vaudeville soit toujours fait pour les oreilles chastes, — on lui a quelquefois passé des libertés singulières, — et, s’il faut être franc, ces libertés ou ces licences, depuis quelques années surtout, composent malheureusement une partie du plaisir que l’on y va chercher. Mais insister sur ce sujet serait peut-être imiter les naturalistes eux-mêmes, dont le cynisme de langage n’est animé, comme l’on sait, que de l’intérêt de la morale… Faisons donc seulement observer que si, pour être juste, notre siècle en ce point ne vaut ni mieux ni pis que tous ceux qui l’ont précédé dans l’histoire, et si même nous sommes encore assez loin des polissonneries de Casanova de Seingalt ou des grossières ordures de Restif de La Bretonne, les romanciers naturalistes ne feront pas moins bien dès à présent d’y prendre garde. Les derniers venus, qui sont encore jeunes, ont peut-être écrit déjà plus d’une page qu’ils regretteront quelque jour ; et il ne faudrait pas que leurs anciens se fissent une obligation, en les imitant à leur tour, de leur apporter une excuse. Vainement ils invoquent Rabelais et Régnier, Shakspeare et Molière, Saint-Simon et Voltaire : qu’ils se rappellent plutôt l’indignation de Flaubert, très vive et très sincère, lorsque Sainte-Beuve prétendit avoir senti dans Salammbô ce qu’il appelait « une pointe de sadisme. » La suite a prouvé qui des deux avait raison : Sainte-Beuve de l’y reconnaître, ou Flaubert de nier qu’elle y fût. Le naturalisme, qu’il s’en rende compte ou non, est aujourd’hui sur cette pente, et ce n’est pas seulement pour lui que je serais fâché qu’il roulât jusqu’en bas.

Rien ne serait plus facile encore que de rapprocher l’espèce de pessimisme dont nos naturalistes font montre de ce pessimisme inconscient qui se trouve être également le fond du vaudeville classique. Qu’est-ce en effet que le vaudeville, sinon le miroir de la bêtise humaine, et parfois même de la bêtise compliquée de gredinerie ? J’aime mieux toutefois attirer l’attention sur deux points de quelque importance. — Le premier, c’est qu’ils sont bien durs, grands et petits, depuis Flaubert jusqu’à M. de Maupassant, pour la pauvreté, je veux dire pour les ridicules et les vilenies, s’ils y tiennent, qu’engendre la misère. Sous ce rapport, c’est le contraire du naturalisme anglais, depuis Fielding jusqu’à George Eliot, si indulgent, si compatissant, si humain. On n’est pas beau non plus quand on a le corps déjeté par la souffrance et la physionomie ravagée par la maladie ; cependant, je ne sais quelle pudeur physique nous retient communément de plaisanter la laideur d’un malade. Qu’est-ce que les habitudes ou les tics de la misère peuvent avoir en soi de plus ridicule ou de plus réjouissant