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ce jugement, qui met en sûreté la gloire de l’anatomiste anglais. La question en vaut la peine. Ce n’est plus, en effet, les personnes qui sont en cause : c’est encore une fois la théorie de la découverte scientifique et ce que l’on pourrait appeler la psychologie de l’invention.

Tandis que les précurseurs de Harvey ont vu clair chacun en quelque endroit, s’égarant ensuite à toute occasion, lui, a vu clair partout. Toujours il a discerné la vérité, et il l’a en quelque sorte extraite du chaos où elle était mélangée à un nombre infini d’erreurs. Ainsi en est-il lorsqu’il parle du cœur, des artères, des veines. On sait aujourd’hui que le cœur est le point de départ ou le point d’arrivée de tous les vaisseaux. On l’ignorait encore vers la fin du XVIe siècle : le foie et le poumon, la tête même pour Césalpin, étaient regardés comme la principale source des veines. Le cœur est, suivant une définition courante, « un muscle creux qui fonctionne à la façon d’une pompe foulante, » c’est-à-dire un organe d’impulsion qui met en branle la colonne sanguine ; il est aussi, grâce à ses valvules, un appareil de direction qui l’oblige à cheminer dans un sens toujours le même. Ces valvules ou clapets, disposées vers le milieu des cavités, divisent ainsi chacun des deux cœurs droit et gauche en deux chambres, l’oreillette en haut, le ventricule en bas. Les oreillettes reçoivent le sang des veines, les ventricules le chassent dans les artères. Les valvules, celles du cœur et aussi celles des vaisseaux dont nous parlerons dans un moment, Fabrice les a connues ; il les appelait ostioles ou petites portes, mais il n’en a pas aperçu le rôle. Il ne comprit pas qu’il se trouvait en présence d’un mécanisme naturel très général. Toutes les fois qu’il s’agit d’imprimer une direction constante au cours d’un liquide quel qu’il soit, la nature recourt au même artifice : elle dispose à l’intérieur des canaux qui le renferment des replis placés en regard l’un de l’autre qui s’ouvrent comme les doubles portes d’une écluse ; ces valvules s’écartent devant le courant qui suit la direction naturelle et lui laissent passage ; au contraire, elles se rabattent, et, affrontant leurs bords, opposent un obstacle absolu au cours rétrograde du liquide qui tend à refluer. C’est ainsi que, dans chaque moitié du cœur, le sang marche toujours de l’oreillette au ventricule et qu’il est empêché de suivre la route inverse. Harvey ne s’y trompe point, et il s’attache sans hésitation à ces vues exactes. Il comprend que la veine cave amène le sang de toutes les parties dans l’oreillette droite et que celle-ci se dégorge dans le ventricule droit, qui pousse le sang noir dans le poumon. Revenu, après avoir’ traversé le circuit pulmonaire, dans l’oreillette gauche, le liquide, coloré d’une belle teinte vermeille, tombe ensuite dans le