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pape Innocent XII, l’un des fondateurs de l’académie del Cimento ; elle se répète couramment et forme l’un des plus intéressans spectacles qu’il soit donné au naturaliste d’observer. L’épreuve sera moins saisissante, mais convaincante encore, si elle se fait d’une autre manière, non plus sur le vivant, mais sur le cadavre. On pourra, par un artifice anatomique, injecter dans l’artère un liquide qui s’y figera, une cire colorée, par exemple, et si l’on débite ensuite l’organe en tranches minces, l’examen microscopique permettra de voir la continuité de ce réseau, qui s’étend sans interruption de l’artère à la veine. C’est ainsi que procédait, vers l’année 1690, l’anatomiste hollandais Ruysch : il montrait par là, non plus la circulation en acte, mais la circulation au repos et, pour ainsi dire, cristallisée. Les admirables préparations de Ruysch excitèrent, en leur temps, une très vive curiosité : la plupart furent acquises après sa mort, en 1717, par le tsar Pierre le Grand. Le savant hollandais appliqua ses procédés d’injection à la conservation des pièces anatomiques et à la pratique des embaumemens. Il s’attira non-seulement parmi les médecins, mais aussi dans le public, une grande célébrité par la merveilleuse préparation de ces momies, qui, comme l’a dit Fontenelle, « prolongeaient en quelque sorte la vie, tandis que celles de l’ancienne Égypte n’avaient su prolonger que la mort. »

A l’époque qui nous occupe, c’est-à-dire dans la seconde moitié du XVIe siècle, le microscope, auxiliaire indispensable de ces expériences, n’était pas encore connu. Hans et Zacharias Jansen s’occupaient seulement à en construire les premiers exemplaires, encore trop grossiers d’ailleurs pour des observations si fines. Ce qu’il était impossible de montrer aux yeux, il fallait donc le montrer à l’esprit, il fallait le montrer par des expériences si claires, si convaincantes que leur certitude pût équivaloir au témoignage des sens. C’est ce que fit Harvey : ce fut là son œuvre, ou plus exactement c’est l’œuvre dont la postérité lui fait honneur et que lui-même s’est attribuée, lorsque, dans la préface de son livre, il disait : « Je suis seul à affirmer que le sang revient sur lui-même, contrairement à l’opinion générale admise et enseignée par un grand nombre de savans illustres. » Cette doctrine était-elle vraiment aussi personnelle et aussi originale que l’auteur le prétend ?

La plupart des Italiens qui ont écrit sur cette époque de la renaissance, si glorieuse pour leur patrie, se sont élevés avec énergie contre cette prétention du médecin anglais. Ils sont sévères pour Guillaume Harvey, aussi pour Michel Servet ; ils le sont pour tous les étrangers. Qu’on les consulte tous, depuis le plus ancien, Morgagni, jusqu’au plus récent, « l’anonyme de Bizzozero, » partout on retrouvera à des degrés divers la même passion.

C’est en Italie que G. Harvey vint faire ses études médicales,