Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

réprobation de tant de bonnes âmes, ignorantes des droits et des nécessités de la science, elles étaient alors suivies curieusement, au dire du même biographe, par une foule de grands personnages, entre lesquels on peut citer l’archevêque Orsini, l’évêque Aloïsius Ardingheller, Ranuce Farnèse, prieur de Venise, et Bernard Salviat, prieur de Rome.

Il semble, d’après cela, que le nom de créateur de la physiologie moderne, que l’on décerne trop souvent à Harvey, revient plus justement à Colombo. Déjà imbu de la méthode moderne des sciences d’observation, ce n’est plus Galien ou Vesale qu’il invoque lorsqu’il veut convaincre ses lecteurs, c’est la nature même, c’est l’expérience renouvelable et facile à répéter. « Lecteur qui cherches avec ardeur la vérité, je te conjure, dit-il, de t’en convaincre sur des animaux que tu ouvriras vivans ; je t’exhorte, je te convie à voir si ce que j’ai dit n’est pas conforme à la vérité. » Il s’indigne contre ceux qui lui opposent, à lui qui a passé de longs jours consacrés à la dissection des corps humains et qui décrit ce qu’il a observé, « l’autorité de leur Avicenne, prince, selon eux, de toutes les écoles, et leur Mundini et leur Carpi, et Vesale même, anatomistes qui n’auraient rien laissé de digne d’être ajouté à leurs travaux. Je ne fais pas tant de cas de Galien et de Vesale que de la vérité : c’est à elle que je suis le plus fortement attaché. » Voilà le vrai et ferme langage que parle la science. Et notre admiration redouble lorsque nous songeons que ces paroles étaient prononcées vers 1550 (publiées dans tous les cas en 1559), trente ans environ avant la naissance de Harvey, soixante-dix ans avant le Novum Organum de Bacon. C’est cet homme de bonne foi, cet anatomiste célèbre dans toute l’Italie, ce précurseur de la méthode expérimentale, que tout préparait à la découverte de la circulation pulmonaire et qui la fit en effet. Dans le passage du livre de Colombo où se trouve mentionné le circuit du sang à travers le poumon, on reconnaît l’accent de l’homme qui a reconnu la vérité, qui la réclame comme son œuvre et qui la défend contre « les auteurs prétendus excellens qui n’ouï pas su voir une chose si claire, ou contre les ignorans qui ne peuvent rien supporter de nouveau. » En un mot et selon les paroles mêmes de Flourens, « on voit partout empreint, dans la description animée de Colombo, le cachet de l’originalité et de l’invention. »

Il faut ajouter que, dans ces passages du de Re anatomica, qui traitent de la circulation pulmonaire, l’auteur est plus exact, mieux informé et plus complet que Servet. A la vérité, sur la couleur du sang, ils s’expriment l’un et l’autre d’une manière ambiguë. On sait que le sang charrié par l’artère pulmonaire est le sang veineux ou sang noir qui va se revivifier dans l’organe respiratoire au contact de l’air et qui revient au cœur gauche à l’état de sang