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Servet n’a pas découvert la circulation pulmonaire, il a eu tout au moins le mérite de la bien comprendre et de s’attacher à elle dans sa nouveauté. Cet homme restera comme l’un des rares exemplaires de ces esprits ardens, mais en même temps inquiets, dont une seule étude ne saurait apaiser la curiosité et qui se dépensent à mille travaux, perdant ainsi en profondeur ce qu’ils gagnent en étendue. Nous le savons lettré, érudit, « à nul autre pareil en fait de doctrine de Galien ; » entiché d’astrologie pendant un moment ; géographe, à un autre moment, lorsqu’il réédite la version latine de la Géographie de Ptolémée ; médecin, lorsqu’il fait paraître un petit traité : Syruporum Universa Ratio ; anatomiste, lorsqu’il collabore aux Anatomicarum Institutionum Libri de Winter, mais toujours et par-dessus tout théologien et réformateur. Sa vie n’est pas moins incertaine et agitée que son esprit. Nous le trouvons en Espagne, sa terre natale, qu’il quitta dès la jeunesse ; on le voit à l’université de Toulouse occupé d’humanités et de droit ; il passe en Italie, à Naples, et plus tard à Bologne en 1530, où il assiste au couronnement de Charles-Quint ; puis, le voilà à Strasbourg et à Bâle conférant avec les réformateurs, chassé d’Allemagne à cause de la hardiesse de ses doctrines et condamné à Paris par le parlement, Il séjourne à Lyon, où son temps se partage entre les occupations de correcteur d’imprimerie chez les Trechsel et de médecin assidu aux leçons de Symphorien Champier ; en dernier lieu, fixé à Vienne, et enfin brûlé en effigie dans cette capitale du Dauphiné et brûlé en chair et os à Genève, à l’âge de quarante-quatre ans. En lui refusant les palmes de l’invention physiologique, on ne diminuera point le respect et les sympathies de la postérité pour cette noble figure qui a représenté, dans un moment critique de l’histoire et en face de la violence fanatique, les droits du libre examen et l’indépendance de l’esprit humain.

Realdo Colombo est un tout autre personnage, c’est une pure figure de savant. Il naît à Crémone en 1494, dix-sept ans avant Servet, et toute son existence s’écoule dans le travail et la recherche, loin des agitations religieuses, au milieu de ces écoles d’Italie, source féconde d’instruction, où les lettres et les sciences, sortant de leur longue torpeur, attiraient les esprits curieux de toutes les parties de l’Europe. C’était surtout une belle époque pour les sciences d’observation et en particulier pour les sciences naturelles. La vocation du jeune Crémonais était bien marquée. Déjà, au temps de sa prime jeunesse, apprenti pharmacien et plus tard élève en chirurgie, il manifestait le goût le plus vif pour les études anatomiques et il s’essayait sans relâche à scruter les secrets rouages de l’organisme. Il disséquait dans les amphithéâtres de Padoue, à Pise et à Rome. Dans les colombaires de Sainte-Marie-Nouvelle à