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de Trinitatis Erroribus. Le Christianismi Restitutio lui-même est encore un livre de théologie. Servet y combat la doctrine de l’humanité du Christ, le baptême des petits enfans, et encore le dogme de la trinité.

On pourrait s’étonner de trouver dans un traité de ce genre, si entièrement étranger par son objet aux sciences naturelles, des considérations et une découverte, enfin, qui sont d’un si grand intérêt pour la physiologie. Si l’authenticité de l’exemplaire qui existe à la Bibliothèque nationale n’était aussi certaine, on serait tenté de croire à une interpolation : mais il faut renoncer à cette idée ; il n’y a point de passage intercalé, point de tricherie. Et d’ailleurs on peut saisir le lien qui, dans l’esprit de l’auteur, rattachait entre eux ces objets différens. Les anciens confondaient la vie avec le sang : la vie, l’aine des héros d’Homère s’écoulent de leurs veines et abandonnent en même temps que le sang le corps du guerrier. La même idée se retrouve dans les livres hébraïques ; dans la Genèse, dans le Deutéronome, dans le Lévitique enfin, où il est dit : Anima omnis carnis in sanguine est : L’âme est dans le sang ; elle y a été soufflée par Dieu à travers la bouche et les narines. Et c’est pour cela qu’il est interdit de s’en nourrir, qu’il faut saigner les animaux sacrifiés et recouvrir de poussière le sang répandu à terre. C’est aussi pour mieux connaître les mouvemens de l’âme que Servet étudie les pérégrinations du sang. A des traits de ce genre, à son goût de la controverse, à son parti-pris de s’attacher au sens littéral, on reconnaît l’esprit scolastique et théologique. Que dans cet ordre de considérations, il soit admirable, c’est ce que déclare l’un de ses savans biographes, le pasteur allemand H. Tollio, qui a consacré sa vie et ses talens à la glorification de Servet. « Si, dit-il, dans son grand système théologique, il n’eût point parlé de la circulation pulmonaire, son nom serait resté inconnu aux physiologistes et aux médecins, mais alors l’illustre Espagnol n’aurait encore perdu qu’un seul fleuron de sa riche couronne. » Tel n’est point notre avis. Ces dix pages où Servet traite une profonde question de physiologie ont plus fait pour sa réputation que toutes les autres ensemble.

C’est ici une observation capitale. Les deux courans qui entraînaient les esprits de ce temps se sont rencontrés dans le cerveau de Servet. Poussé par les circonstances vers l’observation de la nature, attiré par ses goûts vers la scolastique et le commentaire, il constitue une figure indécise et les historiens des sciences doivent hésiter avant d’attribuer l’une des plus importantes découvertes de la physiologie naissante à un esprit imbu de tant de chimères. Il faut se souvenir, en effet, que six ans après son traité théologique contre les trinitaires, en 1537, il ne craignit pas