Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/633

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
IV. — LE TUNNEL DE L’ARLBERG.

Le 4 janvier 1880, avant que le tunnel du Saint-Gothard fût achevé, le gouvernement austro-hongrois signait une convention avec le gouvernement et les compagnies de chemins de fer suisses, en vue de construire une nouvelle voie ferrée à travers le massif de l’Arlberg, pour parer à la concurrence que l’ouverture de la ligne du Saint-Gothard allait faire à l’Autriche-Hongrie sur le marché de la Suisse. En même temps, ce projet avait pour objet d’annihiler les effets du nouveau tarif douanier allemand dirigé contre les produits hongrois et autrichiens qui entraient par la frontière de l’Allemagne. Le but principal que poursuivait l’Autriche-Hongrie était d’augmenter l’importance de son commerce avec la Suisse par des relations directes, et non plus au moyen d’un transit détourné effectué par les voies ferrées germaniques. Enfin, la nouvelle ligne était destinée à réunir au Tyrol la province de Vorarlberg, riche et industrieuse, bien que d’une étendue limitée et jusque-là complètement séparée du reste de l’empire austro-hongrois par le massif de l’Arlberg. C’est ainsi que nous avons vu le roi Charles-Albert songer lui aussi, dès 1841, au tunnel du Mont-Cenis pour réunir la Savoie au Piémont.

Le tunnel de l’Arlberg sera, en dernière analyse, la grande voie de communication destinée à détourner des rails allemands le transit entre l’Autriche Hongrie, la Suisse et la France, et même entre la vallée du Danube et la vallée du Rhin. Zurich deviendra ainsi l’entrepôt entre la France et l’Autriche-Hongrie ; cette route rattachera la Serbie, la Roumanie, la Turquie, la Russie elle-même à tout l’occident de l’Europe ; en un mot, ce sera comme le lien entre Constantinople et Paris. C’est l’ancien grand chemin de l’Orient à l’Occident qu’il s’agit de reprendre, le chemin qui fit au moyen âge la fortune de Nuremberg, d’Ulm, de Ratisbonne, de Francfort, républiques marchandes qui étaient en relations continuelles avec celles de Venise, de Gênes, de Pise, de Florence.

Le projet de loi pour la construction du chemin de fer de l’Arlberg fut déposé par le ministre du commerce d’Autriche le 24 janvier 1880, voté par la chambre des représentans de Vienne, le 15 mars, par la chambre des seigneurs, le 3 mai, et sanctionné par l’empereur le 7. Le 15 mai, la direction des chemins de fer de l’état reçut l’ordre de commencer les travaux en régie ; ils furent inaugurés les 14 et 24 juin, presque simultanément, de l’un et de l’autre côté. On alla vite en besogne, et cette célérité ne s’est pas un instant démentie jusqu’à l’achèvement complet des travaux, dont la rapidité a tenu du prodige. On a procédé ici avec une conscience