Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ouverte sous le Mont-Cenis. D’autre part, en 1852, un Suisse, M. Colladon, depuis longtemps connu dans le monde savant, avait fait breveter un système de perforation du tunnel par l’air comprimé ; cet air, détendu, devait servir en même temps à l’aération des chantiers. Enfin, en 1854, trois jeunes ingénieurs sardes, dont les noms sont inséparables, sortis tous les trois de l’Université de Turin et attachés tous les trois au chemin de fer de Turin à Gênes, MM. Sommeiller, Grandis et Grattoni, faisaient, de leur côté, breveter leur bélier compresseur. Cette curieuse machine hydraulique rappelait l’ancien bélier des frères Montgolfier ; elle était destinée à utiliser la force des chutes d’eau de l’Apennin pour comprimer l’air et pousser ainsi les convois sur les rampes du Giovi.

Il faut ajouter à ces noms celui de l’Anglais Bartlett, inventeur, en 1855, d’un perforateur mécanique à vapeur que va bientôt perfectionner et rendre pratique Sommeiller ; et celui du géologue turinois Sismonda, qui dresse avec le plus grand soin et la plus grande exactitude la carte géodésique et géologique du Mont-Cenis. Ce sont là tous les hommes de talent dont le concours pouvait seul permettre l’exécution de cette œuvre gigantesque. C’est ainsi que les Sommeiller au Mont-Cenis, les Favre au Saint-Gothard, les Lesseps à Suez et à Panama, viennent en quelque sorte à leur heure, au moment voulu, comme des êtres prédestinés, et que sans eux rien ne se serait peut-être fait.

N’oublions pas Cavour, qui allait malheureusement sitôt disparaître, et qui soutint de tous ses efforts, des deniers de l’état, de ses discours persuasifs et patriotiques devant les chambres, le projet du tunnel et les trois ingénieurs qui en étaient en quelque sorte l’âme.

L’inauguration des travaux eut lieu le 31 août 1857, du côté nord ou de Modane, en présence du roi Victor-Emmanuel et de Cavour. La première mine fut allumée par le roi au moyen d’un fil électrique, et, le 14 novembre suivant, on amorça également la première mine du côté sud ou de Bardonnèche. On commença à travailler péniblement à la main, le forage marchant lentement, pas plus vite que dans une galerie de mine. Les événemens de la guerre d’Italie vinrent d’ailleurs quelque temps ralentir les travaux. En janvier 1861, c’est-à-dire après trois ans et quatre mois, le forage du Mont-Cenis n’avait guère avancé que de 725 mètres du côté de Bardonnèche, soit de 0m,63 en moyenne par jour ; il est vrai qu’on ne marchait encore qu’avec des fleurets à main. Mais, à cette date, on installa à Bardonnèche la première machine perforatrice de Sommeiller, son bélier compresseur. Par suite de toutes les difficultés du début, de l’inexpérience des ouvriers, on n’avait fait, avec une série de ces machines, à la fin de l’année 1861,