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rupture, ils en prenaient le chemin. Les Prussiens s’étaient plaints, dès le début, de la lenteur que l’Autriche mettait à les appuyer. Ce n’était plus de renforts qu’il s’agissait maintenant. L’Autriche retirait ses troupes. Forcée de lever le siège de Lille, elle rappelait pour couvrir la Belgique les divisions qui avaient été détachées à l’armée de Brunswick. Ces résolutions, jointes au silence que gardait la cour de Vienne sur l’article des indemnités, avaient fort irrité le roi. « Il est tombé dans le plus profond dégoût contre l’Autriche, » écrivait Lucchesini le 13 octobre. Hohenlohe refusa péremptoirement d’aider les Prussiens à défendre Longwy. Ce fut le coup de grâce. A la suite d’une conférence orageuse avec le général autrichien, Frédéric-Guillaume fit retomber sa colère sur Bischoffswerder. « Voilà, s’écria-t-il, les f… alliés que vous m’avez donnés ! je suis près de rompre avec eux. »

C’est alors que l’envoyé de la cour de Vienne, Spielmann, arriva pour régler la question des indemnités. Il était à Luxembourg depuis le 30 septembre ; il s’était présenté à Verdun, s’y était abouché avec Haugwitz, puis il s’était joint au cortège de la retraite. Tout ce qu’il avait appris et observé l’avait convaincu que ses instructions étaient fort sages, qu’il fallait s’y tenir, assurer les indemnités, tâcher de finir la guerre, traiter avec les Français « au meilleur marché possible, » et se contenter au besoin d’une « quasi-liberté » pour Louis XVI. Les Prussiens pensaient de même ; ils déclarèrent d’ailleurs formellement qu’ils étaient contraints de songer à leurs propres affaires et mirent leurs alliés en demeure de leur fournir les acquisitions qu’on leur avait promises en Pologne. Ainsi, l’Autriche songeait à la paix, la Prusse y inclinait, l’une et l’autre ne cherchaient plus que leur intérêt et leur profit. La coalition n’était pas dissoute, mais elle changeait de but et de caractère. Il pouvait se former encore entre les alliés de 1792 des sociétés d’acquêts, la croisade était finie. La guerre de principes n’avait pas résisté aux épreuves d’une campagne de six semaines.

Cependant les Prussiens atteignaient Longwy ; c’était leur dernière étape. Kalkreuth parvint une dernière fois à gagner quelques jours au moyen des mêmes feintes. Le 22 octobre, les Français entrèrent dans la place, et le lendemain, trois salves d’artillerie, tirées par l’ordre de Kellermann, annonçaient que l’ennemi avait évacué le territoire de la république. La France était délivrée ; elle prenait déjà l’offensive : Custine était dans Mayence et Dumouriez partait pour la conquête de la Belgique.


ALBERT SOREL.