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avaient accéléré la chute… » Enfin, ce premier point essentiel qui contenait tant de choses, contenait aussi « l’aveu formel que l’ancien gouvernement n’était pas propre au bien du royaume. » Le conseil concluait de là que, tout en écartant ces articles relatifs à Louis XVI, on pourrait peut-être s’accommoder sur les intérêts mêmes du roi de Prusse ; il décida, en conséquence, de renvoyer Westermann auprès de Dumouriez et de lui adjoindre Benoît « avec des pouvoirs suffisans. » Benoît avait été chargé naguère par Dumouriez d’une mission à Berlin : il devait se concerter avec lui, et conduire l’affaire sous sa direction.

Il avait fallu toute la dextérité des fins légistes qui siégeaient dans le conseil pour concilier les Points essentiels de Manstein, qui ne touchaient que Louis XVI, avec une négociation dont sa personne devait être exclue. Ce n’était point simplement pour calmer leurs scrupules juridiques que les membres du conseil s’étaient livrés à cette joute de subtilités. Ils jugeaient opportun de négocier, mais ils savaient qu’il serait dangereux de passer, aux yeux de leurs terribles commettans, pour suspects de pactiser avec les tyrans. Sous ce rapport, un procès-verbal succinct et des dépêches diplomatiques, nécessairement secrètes, ne suffiraient point à les couvrir, du moins au début. Il fallait se mettre en règle avec la Convention, et comme l’évacuation du territoire était le but qu’ils se proposaient d’atteindre, ils jugèrent expédient de poser comme une condition préalable de leurs négociations ce qui en devait être le résultat. En conséquence, ils rédigèrent la déclaration suivante :


Les généraux de l’armée du Nord et du Centre, ayant fait connaître au conseil exécutif que des ouvertures leur ont été faites de la part du roi de Prusse, qui annonce son désir d’entrer en négociation, le conseil arrête qu’il sera répondu que la république française ne veut entendre aucune proposition avant que les troupes prussiennes aient entièrement évacué le territoire français.


Le lendemain, 26, Lebrun porta cet arrêté à la Convention. Il le fit précéder d’un rapport d’une violence extrême. Il y parlait, notamment : « de ces perfidies profondes dont la politique du cabinet de Berlin avait souvent donné le scandale. » Le reste allait du même ton. Si Brunswick ignorait le langage qu’il faut tenir aux peuples libres dont on désire l’amitié, il est clair que Lebrun n’avait aucune notion de l’art de parler aux rois dont on recherche l’alliance. Il y avait sans doute quelque finesse cachée et des arrière-pensées qui se dissimulaient derrière l’emphase de son rapport, comme il y en avait dans le manifeste de Lucchesini, mais chacun gardait pour