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entre les mains duquel ils le laissèrent. Duval, en apprenant sa qualité, le traita fort poliment, et ordonna qu’on le conduisît chez Dumouriez, à Sainte-Menehould. Il partit avec un convoi de blessés et erra toute la nuit dans les chemins, sous la pluie, sans manteau, affamé, transi, et par-dessus tout consterné de la déplorable aventure dans laquelle son imprudence l’avait jeté. Dumouriez lui envoya le lendemain un de ses aides-de-camp, qui. tâcha de le faire parler ; puis, averti que le roi de Prusse le réclamait, il proposa de l’échanger contre George, ancien député de Verdun, que les Prussiens avaient pris et gardaient en otage. Lombard écrivit pour annoncer cette proposition, ajoutant, avec un beau stoïcisme, qu’il s’en remettait à la sagesse du roi et subordonnait sa liberté aux besoins de la politique. Le message fut porté, le 22 septembre, par un homme qui tenait à la fois de l’agent secret et de l’aventurier militaire, Westermann, révolutionnaire ardent, fort compromis dans le 10 août. C’était un des hommes de main de Danton, et Dumouriez jugea prudent de le mêler à ses opérations. Il lui remit un mémoire pour le roi de Prusse. Dans ce mémoire, destiné, comme l’écrivait Dumouriez à Lebrun, ministre des affaires étrangères, « à amorcer la négociation, » il insistait sur le péril où l’alliance autrichienne entraînait la Prusse, sur les forces, chaque jour plus formidables, que lui opposerait la France. Après avoir insinué, sous forme de parenthèse, que Dumouriez se trouvait placé « par l’universelle confiance au plus haut degré du pouvoir, » le mémoire concluait en ces termes : « L’examen de tout ce qui vient d’être dit, joint à une multitude de motifs intéressans au roi de Prusse lui-même, porterait volontiers M. Dumouriez, général en chef, à prendre la liberté de lui conseiller de se retirer d’abord de sa personne et, ensuite, d’entrer en négociation sur le pied qui lui a été proposé par ce général lorsqu’il était ministre des affaires étrangères ; alors le roi de Prusse retirerait son armée du pas dangereux où elle se trouve et s’en servirait, ainsi qu’il y sera infailliblement appelé par une nécessité supérieure, à achever le vrai plan de la monarchie prussienne, qui est de contre-balancer la maison d’Autriche… » L’émissaire de Dumouriez ne se contenta point de remettre ce mémoire, il insinua que l’on pourrait négocier un arrangement qui assurerait le salut de Louis XVI, et que l’on en saurait davantage si l’on envoyait quelque personne de confiance auprès du général en chef.

Le roi accepta la proposition d’échange. Brunswick et Manstein l’engagèrent vivement à ne point repousser les ouvertures de Dumouriez. L’état de l’armée, la nécessité où l’on croyait être de battre prochainement en retraite, les inquiétudes que donnait la conduite de l’Autriche et de la Russie, enfin l’espoir de sauver la