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moyens permis, » écrivait le 20 août un secrétaire du roi de Prusse. Des habitans tirèrent sur l’ennemi ; l’ennemi fusilla les habitans, pilla les villages et ne s’en trouva pas mieux. Ajoutons que, comptant sur la soumission du pays, les Prussiens n’avaient point pris leurs précautions. Dès les premiers jours, ils manquèrent de tout. Leurs énormes bagages s’entassaient et s’embarrassaient sur les routes détrempées par la pluie. Le mauvais temps durait depuis le 30 juillet ; la marche harassait les troupes, le bivouac les épuisait : la maladie les gagna et avec elle le découragement. Cependant on s’était arrêté un jour à Longwy pour se refaire ; on s’était arrêté à Verdun ; on piétinait dans la boue plutôt qu’on n’avançait. Deux lieues en une journée, rapporte un témoin, suffisaient à mettre sur le flanc les hommes et les chevaux. Les troupes se décimaient sur les chemins. Embourbée et entravée, cette lourde machine de guerre se disloquait. Quand l’armée prussienne rejoignit les Français, elle était méconnaissable. Le prince de ligne, un frère de l’écrivain, fut tué dans le combat du 13 septembre. On trouva sur lui une lettre inachevée. « Nous commençons à être las de la guerre ; les émigrés nous promettaient plus de beurre que de pain, mais nous avons à combattre des troupes de ligne dont aucun ne déserte, des troupes nationales qui résistent ; tous les paysans qui sont armés, ou tirent contre nous, ou nous assassinent, quand ils trouvent un homme seul ou endormi dans une maison… Le temps depuis que nous sommes en France est si détestable… que nous ne pouvons retirer nos canons ; de plus la famine… Nous avons tout le mal imaginable pour que le soldat ait du pain. La viande manque souvent. Bien des officiers sont cinq, six jours sans trouver à manger chaud. Nos souliers et nos capotes sont pourris… Je ne sais comment nous ferons, et ce que nous deviendrons. »

C’était la question que se posait le général en chef, le duc de Brunswick. Il blâmait la guerre qu’il était chargé de conduire et le plan qu’il était chargé d’exécuter ; les obstacles qu’il rencontrait confirmaient ses appréhensions secrètes ; et les difficultés augmentaient chaque jour en lui les irrésolutions d’un esprit naturellement perplexe. Le roi, impatient, fougueux, colère, voulait que l’on s’avançât sur Paris à marches forcées. Brunswick conseillait de s’arrêter devant les places, d’assurer les communications et les approvisionnemens, de ne rien risquer, en un mot, et de ne frapper qu’à coup sûr. Il estimait qu’au train dont allaient les choses, il pourrait tout au plus amener sous Paris une armée de 30,000 hommes, et c’était, à ses yeux, pure folie de s’exposer de la sorte. Le roi ne se rendit point à ces raisons : il ordonna la marche en avant. Brunswick se soumit à regret. Trop