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leur droite par 15,000 Autrichiens sous Clerfayt, sur leur gauche par 15,000 sous Hohenlohe ; en tout environ 83,000 hommes. Le duc de Saxe-Teschen couvrait la Belgique et menaçait Lille avec 25,000 hommes. L’Autriche annonçait des renforts qui se dirigeaient vers la frontière de l’Est. La France n’avait à leur opposer qu’une centaine de mille hommes, échelonnés du Rhin à la mer, derrière des places à demi démantelées et dépourvues de munitions. Dumouriez estimait ses forces à 6,000 cavaliers, 25 à 30,000 fantassins ; mais, à part l’artillerie, l’arme classique de la France, qui avait conservé ses cadres et ses officiers, le reste était de qualité douteuse et présentait peu de consistance. C’étaient des troupes privées de leurs chefs, « désorganisées, consternées, » agitées par les soupçons, travaillées par la propagande, en proie aux paniques. Dumouriez croyait possible de les enlever pour une attaque ; il ne les jugeait pas assez fermes pour les épreuves de la défensive. C’est pourquoi il pensait toujours à se jeter sur la Belgique. Il comptait que les Prussiens s’arrêteraient à assiéger les places et que cette diversion les déconcerterait. Mais, le 30 août, pressé par Clerfayt, apprenant d’autre part que Longwy avait capitulé et que les Prussiens assiégeaient Verdun, il se décida à se retirer, emmenant avec lui tout ce qu’il pouvait ramasser de troupes : son intention était de se retrancher dans les défilés de l’Argonne et de couper aux Prussiens la route de Paris. L’opération était hasardeuse : l’armée manquait de vivres et de charrois, l’ennemi la serrait de près. Avec un peu d’audace il aurait pu l’anéantir : il ne le fit point. Le 4 septembre, Dumouriez occupait à Grandpré un des défilés de l’Argonne avec 13,000 hommes ; Dillon le rejoignit le lendemain avec 7,000. Le 7, Duval arrivait avec 6,000 hommes.

Les collines qu’ils occupaient s’étendent sur seize lieues environ ; elles sont couvertes de bois épais, coupées de ruisseaux, d’étangs et de marécages qui les rendent impraticables partout ailleurs que par les cinq passages de routes. Il est aisé de s’y retrancher ; Dumouriez le fit, mais il se garda mal. Le 12, un des passages, La Croix-aux-Bois, fut surpris par l’ennemi. L’armée était tournée. Dumouriez se tira d’affaire grâce à son sang-froid. Sa légèreté le mettait souvent en péril, sa vivacité et sa résolution l’en retiraient. Il décampa dans la nuit du 14 au 15 et parvint à dérober sa retraite aux Prussiens. Mais quand le jour parut, les soldats se trouvèrent au milieu de la brume et de la pluie, dans des chemins défoncés, transis, et harassés par les piétinemens de la nuit : leur courage s’ébranla, ils s’agitèrent. Douze cents hussards prussiens se jetèrent sur une des divisions, qui se mit en déroute. Il y eut des hommes qui s’enfuirent jusqu’à trente lieues de là en criant à la trahison. Les chefs parvinrent à en rallier le plus grand