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plus exacte et plus profonde. C’est cette dernière entreprise que poursuit M. Fouillée. Sa critique des systèmes n’est, comme la première partie du Novum Organum, qu’une pars destruens, qui doit être suivie d’une pars informans, c’est-à-dire de l’exposition d’un nouveau système. Les indications qu’il nous donne sur la doctrine qu’il se propose d’édifier sont encore trop vagues pour qu’il soit possible de juger dès à présent quelles espérances il est permis d’en concevoir ; mais ses critiques des doctrines antérieures ne sauraient être méditées avec trop d’attention par tous ceux qu’intéressent et que troublent les questions morales. Nous sommes loin de lui donner raison sur tous les points. Pour nous, la critique ne consisterait pas à tout détruire pour tout réédifier. Nous restons invariablement attaché aux doctrines spiritualistes, même après toutes les objections qu’il a accumulées contre elles. Nous croyons que si elles peuvent pécher par quelque détail d’argumentation ou d’exposition, ou même par quelque erreur fondamentale, elles ne peuvent que gagner, dans leurs parties essentielles, en solidité et en évidence à l’épreuve d’un examen sérieux et approfondi. Toutefois, là même où elles n’ébranlent pas nos convictions, les discussions de M. Fouillée, toujours ingénieuses et pénétrantes, nous éclairent sur les points faibles des idées que nous nous refusons le plus énergiquement à lui abandonner. Quelle que doive être la fortune du nouveau système qu’il nous promet, cet important ouvrage de critique philosophique vient à son heure dans la crise actuelle de la morale et nul n’est plus propre à en préparer la solution. Il peut d’autant mieux la préparer que ce livre tout négatif n’est pas l’œuvre d’un sceptique. M. Fouillée ne s’exagère pas la puissance de la raison humaine ; mais il croit que la raison humaine, à travers la série de ses erreurs et de ses désillusions, est faite pour approcher sans cesse de son but idéal, « Les êtres intelligens, dit-il à la fin de sa préface, peuvent espérer, sans pour cela méconnaître les bornes de la pensée, de reculer toujours ces bornes ; ils peuvent espérer, par l’intermédiaire de la pensée même, qui est aussi une force immanente à la nature, de porter toujours plus loin la subordination de la nature à leur idéal moral et social, par conséquent le progrès de l’intérieur au supérieur. Si la devise de la science devant l’énigme des origines du monde est : Ignorabimus, la devise de la morale devant l’énigme des destinées du monde peut être : Sperabimus. »


EMILE BEAUSSIRE.