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la plus pacifique de l’Europe a été surprise alors par une agression inattendue de la France. Quelque opinion que l’on se fasse du reste à cet égard, contentons-nous de retenir ce précepte important que la mobilisation et la concentration des armées ne doivent être menées qu’avec le degré de vitesse compatible avec le maintien du bon ordre, sans dépasser la limite au-delà de laquelle les forces de l’homme viendraient à fléchir et où les ressorts mis en œuvre perdraient leur élasticité. Ceci fait ressortir combien il serait avantageux d’avoir la plus forte proportion possible des troupes casernée dès le temps de paix sur la frontière menacée, au lieu de les répartir uniformément sur toute l’étendue du territoire.

La seconde condition à remplir, la mobilité des corps d’armée, dont l’importance n’est pas moindre, est connexe avec la première. Les armées modernes sont, sous ce rapport, bien moins favorisées que celles d’autrefois. Elles ont à traîner avec elles des munitions, une artillerie dont le poids les alourdit beaucoup, et elles doivent en outre satisfaire à une foule de besoins sociaux, bien moins développés ou même inconnus au siècle dernier. Ainsi elles doivent être pourvues d’un service sanitaire très complet, de trésoreries, postes, télégraphes ; il leur faut même des aérostats. On dispose, il est vrai, de la précieuse ressource des chemins de fer, mais on n’est pas encore complètement d’accord sur la meilleure manière de les utiliser, et d’ailleurs, c’est le propre des instrumens très perfectionnés de rendre les embarras beaucoup plus grands lorsqu’ils viennent à manquer subitement. Or il est malheureusement certain que la circulation sur les chemins de fer peut être entravée, même fort loin des armées belligérantes, par des moyens simples, efficaces, et dont on n’a pas encore fait usage. Il y a là un aléa de nature à porter un grand trouble dans La concentration des troupes, et il importe de le prévoir afin d’y porter remède s’il venait à se produire.

Notre réseau de chemins de fer, malgré les critiques dont il a injustement été l’objet, est bien disposé, bien construit, et susceptible de permettre une concentration rapide, si l’on sait bien s’en servir. Il y a fort peu de lignes à y ajouter pour qu’il soit possible d’affecter une direction spéciale à chaque corps d’armée, condition importante de l’indépendance des mouvemens. Les trains pourront se succéder d’assez près pour que le nombre de ceux qui seront expédiés chaque jour ne dépende que de la rapidité des débarquemens fit de la fatigue à laquelle on soumettra le personnel des gares, point capital et auquel cependant on n’a peut-être pas apporté une attention suffisante. C’est sans doute pour cela que l’état-major allemand fixé de huit à douze le nombre de trains à expédier par jour sur une ligne à simple voie, et de douze à