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de l’avoir éprouvé par une longue suite de succès ? Il convient donc toujours de se ménager le plus de chances possible.

Le premier point est d’être bien fixé sur ce que l’on veut faire, d’avoir un bon plan de campagne. Il ne s’exécutera pas en toutes ses parties tel qu’on l’aura formé, car il faudra tenir compte des entreprises de l’ennemi et des vicissitudes qui en résulteront ; mais ce plan servira de point de départ, et on s’en rapprochera le plus possible, sauf à le modifier suivant les circonstances. La concentration des troupes devra se faire en vue de son exécution, et un changement notable ne saurait intervenir au dernier moment, car il exigerait des mesures prises de longue main. Les quais de débarquement, par exemple, doivent être préparés à l’avance. L’existence de ces quais donne même le moyen de prévoir avec assez d’exactitude les projets de l’ennemi. Il ne lui est plus possible de dérober la marche d’armées innombrables, comme on a pu le faire pour les 50,000 hommes qui ont conquis l’Italie à la journée de Marengo. Enfin la mise en route, ce qu’on appelle aujourd’hui la mobilisation, est un ensemble de mesures ayant pour objet de faire passer l’armée du pied de paix au pied de guerre et de l’amener aux lieux choisis pour la concentration. C’est un moyen, ce n’est pas un but. On ne saurait commettre une erreur plus dangereuse que celle de subordonner les opérations de l’armée à la mobilisation, comme on est tenté de le faire. Il ne faut jamais vouloir que ce qui est possible et en rapport avec les moyens dont on dispose, mais la mobilisation n’a d’autre objet que de préparer la concentration des troupes, et celle-ci sera bien ou mal conçue selon qu’elle facilitera plus ou moins les opérations qu’on se propose de faire.

Personne aujourd’hui ne doute qu’il faille activer la concentration des troupes ; on semble même disposé à exagérer cette rapidité, qui pourrait compromettre le succès de l’opération. L’armée prussienne peut à cet égard nous servir d’exemple, car elle a fait en 1866 et en 1870 deux expériences heureuses de mobilisation d’armée, ce qui lui a permis d’apprécier sainement les règles suivies, et de connaître en quoi elles doivent être maintenues ou améliorées. Le baron de Goltz nous apprend qu’en 1870 on voulut trop se presser, « et alors la machine refusa de marcher. » Il est dangereux, dit-il, de trop précipiter la mobilisation, car on perd le calme et la lucidité d’esprit nécessaires. Ce témoignage est précieux, car le même auteur nous fait connaître à diverses occasions avec quel soin extrême les dispositions préliminaires avaient été prises. En préparant les projets de mobilisation pour 1870, on avait poussé la prévoyance jusqu’à étudier un champ de bataille près de Manheim. On ne peut blâmer des précautions d’une si grande prudence ; il est difficile seulement de les concilier avec cette assertion que la nation