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un temps d’arrêt prolongé ? et la découverte d’armes très supérieures à celles en usage n’obligerait-elle pas à subir les frais d’une réforme radicale ? Au point de vue simplement budgétaire, on peut désirer qu’aucune invention importante ne voie le jour, mais une loi supérieure condamne impitoyablement les nations comme les industries qui s’obstinent à conserver un outillage de qualité inférieure. Il faut donc prévoir le moment, — peut-être éloigné, peut-être prochain, — où des dépenses considérables viendront s’imposer d’une manière absolue.

De profondes réformes seraient à faire aussi dans les principes qui régissent les deux services de l’habillement et des approvisionnemens de l’armée. Sans doute, l’adoption de l’uniforme a été une grande amélioration de la discipline de l’armée, mais, comme le disaient nos pères : « L’habit ne fait pas le moine, » et ce serait une dangereuse erreur de confondre les vertus militaires avec ce qui n’en est que l’étiquette. L’armée territoriale ne devant servir que rarement et pendant un temps très court, on pourrait restreindre les effets d’équipement dont elle serait pourvue. Il y a un inconvénient fort grave à porter les approvisionnerons au-delà du strict nécessaire : ils se détériorent, la mise en service devient difficile ; le soldat n’est vêtu que d’effets défraîchis ou ayant perdu une partie de leur solidité ; il mange du pain fait avec de vieilles farines, des conserves approchant de la limite de leur durée. Puis il y a des frais de surveillance et de manutention. On est obligé de construire des magasins coûteux et qui exigent eux-mêmes un entretien d’au moins 1 1/2 pour 100 de la valeur des bâtimens.

On a cru introduire des économies dans l’administration de l’armée en supprimant le service en régie des subsistances et des fourrages, pour le livrer à l’entreprise. C’est aller trop loin. Oui, en principe, l’état ne doit pas se faire fabricant, il doit acheter dans le commerce tout ce que le commerce peut lui fournir couramment, mais cette règle souffre quelques exceptions. L’état a un certain intérêt à faire ce qu’il consomme seul. Il y a un intérêt de sécurité à lui confier la fabrication de la poudre. En lui donnant celle des armes, on arrive à ce grand et utile résultat de rendre toutes les pièces interchangeables, de réparer, sans ajustement, un fusil fait à Tulle avec des pièces qui viendront de Saint-Etienne ou de Puteaux. Toutes les parties d’un affût ou d’une voiture pourront aussi être remplacées par des rechanges quelconques. Jamais des industriels ne pourraient en arriver là. Il est bon aussi que les garnisons les plus importantes, celles des places de guerre, ne soient pas à la merci d’une grève de boulangers, et que des magasins à fourrages approvisionnées pour le temps de guerre se renouvellent au moyen de la consommation courante. Il y a donc des