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fonctions de la hiérarchie militaire, tempérant le savoir dogmatique des écoles par les connaissances que donne la pratique du métier. Ce qui est à craindre, c’est qu’on ne se laisse entraîner trop loin par le désir, très louable, de procurer à tous une instruction générale très étendue, encyclopédique, ce qui ferait durer outre mesure le stage que l’on fait dans les écoles, créées avec une fâcheuse profusion. Des officiers y ont passé huit et neuf années. C’est beaucoup trop. Il faut savoir se borner et ne pas réduire outre mesure la durée de la vie utile, dont la moyenne ne dépasse pas vingt-deux ans dans l’armée. On la raccourcit outre mesure, d’un côté par le séjour dans les écoles, de l’autre, par des retraites prématurément données à des officiers capables de rendre encore d’utiles services.

On veut ainsi, dit-on, favoriser les officiers, en rendant l’avancement plus rapide. C’est envisager une question très grave sous un point de vue tout à fait faux. L’avancement n’a pas pour objet de satisfaire les convoitises des hommes, ni même, ce qui serait plus acceptable, de récompenser les services rendus ; l’avancement est le moyen de recruter les cadres supérieurs. L’état a besoin de colonels et de capitaines comme il a besoin de sous-lieutenans et de soldats. Où les prendra-t-il, si ce n’est parmi ceux qui ont acquis de l’expérience par un long séjour dans un grade inférieur ou qui s’y sont distingués par leur manière de servir ? C’est dans l’intérêt seul de l’état que l’avancement doit être réglé. C’est cet intérêt qui doit le faire donner avec une équité rigoureuse, en faisant une part variable, selon les circonstances, au choix et à l’ancienneté. Il ne conviendrait pas de soumettre à des examens des hommes déjà âgés. Des examens ne donnent pas d’ailleurs la vraie mesure de la valeur d’un homme, qu’on doit juger sur ce qu’il a fait, dès qu’on lui a donné quelque chose à faire. Aussi ne sont-ils admissibles qu’à l’entrée dans la carrière, ou lorsqu’il s’agit de passer à des emplois très différens. Mais surtout ils n’apprennent rien sur les qualités les plus importantes d’un homme de guerre : la bravoure, le sang-froid, la fermeté, la grandeur du caractère. Si Condé ou Masséna avaient dû se présenter à Saint-Cyr, ils auraient été écartés par une note éliminatoire pour n’avoir pas su l’allemand. Ney ou Bugeaud, si clairvoyans en présence de l’ennemi, n’avaient pas le don de la parole ; un examinateur les aurait mal cotés. Napoléon lui-même qui ne se trouvait pas dans la première moitié des élèves sortans de Brienne, n’aurait peut-être point été admis à l’école de guerre s’il en eût existé une de son temps. De tels exemples montrent à quels faux jugemens on serait exposé en prétendant apprécier le mérite des hommes de guerre d’après des compositions écrites ou des examens oraux.

Les règles actuelles de l’avancement ont donné des résultats