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Quoi qu’il en soit, ce n’est pas la prépondérance effective, mais soigneusement dissimulée de l’état-major, qui donnera au général d’une armée le moyen de triompher des difficultés qu’amène l’exagération du nombre de ses troupes. Il faut renoncer à violenter la nature, être fermement convaincu que les foules ne sont point des armées. Il est nécessaire d’avoir un nombre suffisant de soldats aguerris, bien commandés, bien encadrés, endurcis aux fatigues et à la marche, munis du nécessaire, mais débarrassés de la masse énorme des bagages et des impedimenta qui alourdissent les colonnes, sous le prétexte de tout prévoir et de pourvoir à tout. Alors on pourra manœuvrer, porter la masse principale de l’armée défensive sur un point de cette ligne longue et faible à laquelle on donne le nom, très mal justifié, de ligne de concentration. On aura moins de troupes que l’adversaire peut-être ; mais ce qui donne la supériorité, c’est le nombre de celles qui se trouvent au lieu où l’on combat ; le reste ne sert qu’à faire figure. On a faussement attribué nos revers de 1870 à une infériorité numérique ; cela n’est pas exact. La France a appelé aux armes plus d’hommes que l’Allemagne. Paris comptait un bien plus grand nombre de soldats, ou réputés tels, que l’armée assiégeante. A quoi cela a-t-il servi ? Et depuis la guerre, à quoi a conduit cette préoccupation exclusive de la recherche du nombre ? A une série de dispositions incohérentes, qui ont amené le désordre partout, augmenté considérablement les charges du budget, et aussi le chiffre des non-valeurs. Des réformes s’imposent ; elles devraient être préparées par des hommes compétens : une commission composée des sommités de l’armée, et non d’hommes très bien intentionnés sans doute, mais qui n’apportent ni les connaissances, ni les études nécessaires. Il n’est possible de donner ici que quelques indications très sommaires sur les principaux desiderata ; nous allons les exposer rapidement.

Il n’y a d’ailleurs aucun système qu’il faille toujours suivre pour procéder à l’organisation d’une armée. L’histoire nous montre des différences considérables, selon les temps et les lieux. C’est que l’armée doit avant tout être nationale et faite à l’image du pays dont elle reflète les institutions. Ainsi on aurait tort de vouloir imiter servilement en France ce qui réussit en Allemagne sans se rendre compte des motifs que l’on peut avoir d’agir différemment. La France est un pays démocratique ; l’Allemagne, la Prusse surtout, est restée aristocratique. Sans discuter ici les avantages respectifs de ces deux régimes, il suffit de constater cette différence pour conclure qu’il doit en résulter une analogue dans la constitution des deux armées, et, de fait, il y en a toujours eu. Il faut donc conserver à cet égard une parfaite indépendance d’esprit, comparer, et ne se préoccuper que de l’intérêt militaire. Il est bon aussi de se souvenir