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d’état-major chargé de penser pour lui et de lui présenter des solutions qu’il n’aura qu’à revêtir de sa signature. « Il ne peut pas n’en pas tenir compte s’il ne veut jeter le désordre dans son armée ; » et « le chef d’état-major contribuera à compenser le génie militaire qui peut faire défaut au généralissime. » Tel est l’avis du baron de Goltz ; mais cela ne suffit pas à le rassurer, et, dans sa sollicitude, il s’efforce de rendre le remède plus efficace encore. Il adjoint au chef d’état-major un second « qui sera d’un grand secours pour conseiller le généralissime ; deux hommes éclairés étant plus persuasifs qu’un seul et moins vite à bout d’argumens. » Ainsi non-seulement le général en chef doit avoir un chef d’état-major auquel il donne toute sa confiance, mais celui-ci doit être aidé par un second. Il en sera de même des commandans de corps d’armée, qui auront aussi leurs tuteurs, et il sera bon que ceux-ci, « désignés à l’avance en temps de paix, coopèrent à l’élaboration des projets d’opérations. » Quant aux généraux, on n’examine même pas s’il est nécessaire qu’ils en soient instruits.

Voilà donc le généralissime, ce chef tout-puissant, sur qui repose le salut du pays, réduit au rôle d’un roi constitutionnel, qui règne et ne gouverne pas ! non pas même d’un roi constitutionnel, mais d’un roi fainéant, dont le seul privilège est d’endosser la responsabilité des actes d’un maire du palais, dominateur et irresponsable ! Voilà tous les généraux de l’armée soumis à leurs inférieurs et réduits à n’avoir que l’écorce du commandement. Les uns comme les autres sont enveloppés dans le réseau serré d’un corps de subalternes qui correspondent entre eux, sont instruits les premiers du secret des opérations, et arrêtent les mesures à prendre. Les chefs nominaux paraissent donner des ordres qui émanent en réalité d’un état-major dont le pouvoir n’a pas même cette limite morale qu’imposent les conséquences d’une faute. Si l’officier d’état major a fait une fausse démarche, c’est son général qui en pâtit. Un tel commandement ad latus peut avoir les résultats les plus funestes, comme à Sadowa, où le général Benedek a vu avec stupeur les troupes prussiennes pénétrant sans obstacle au centre de son armée, que son chef d’état-major avait dégarni, sans l’en prévenir, des régimens qui devaient s’y trouver.

Une semblable organisation est insensée. Le chef d’une armée, responsable de la vie de ses hommes et du salut de l’état, doit jouir d’un pouvoir en rapport avec ce qu’on attend de lui. Rien de ce qui concerne la guerre ne doit lui être dissimulé ; c’est lui qui doit arrêter les plans de campagne, décider de tout et donner des ordres souverains aux officiers de tout grade. L’état-major, chargé de certains détails, est un organe du commandement, qu’il doit servir avec zèle et soumission, et auquel il ne doit jamais chercher à substituer