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viennent de s’écouler depuis leur défaite à reprendre la lutte plus vivement que jamais. Ils ont opposé candidats à candidats, ils ont chaudement combattu, et, s’ils n’ont pas complètement réussi, ils ont du moins regagné un peu du terrain perdu, ils sont arrivés à une quasi-égalité de suffrages qui nécessite un ballottage. Libéraux et catholiques se serrent de près ; il n’y a entre eux qu’une différence d’une centaine de voix sur près de 18,000 votans, et c’est un catholique qui tient la tête de la liste. A Tournai et à Nivelles, il y a également un ballottage. C’est là, si l’on veut, de quoi atténuer jusqu’à un certain point la défaite des libéraux et leur rendre quelque confiance. Dès ce moment, cependant, le résultat est acquis pour le parti que le ministère de M. Malou représente au pouvoir, et même en admettant qu’à Bruxelles comme à Nivelles et à Tournai les scrutins de ballottage soient favorables aux libéraux, les catholiques n’ont pas moins l’avantage dans l’ensemble des élections sénatoriales. Au demeurant, les libéraux avaient dans le dernier sénat une petite majorité de cinq voix ; dans le sénat renouvelé, les libéraux fussent-ils élus à Bruxelles, le ministère a encore une majorité de quinze voix, ce qui a son importance dans une assemblée peu nombreuse.

On peut donc considérer le scrutin du 8 juillet comme le complément logique du scrutin du 10 juin ; et l’évolution de la politique belge comme définitivement consacrée par l’opinion consultée sous toutes les formes. La victoire des catholiques est pour le moment assurée, et le nouveau ministère n’a point à craindre les tiraillemens, les difficultés qui se produisent toujours avec les majorités douteuses. Ces dernières élections sénatoriales ne laissent pas cependant d’avoir une certaine signification qui peut donner à réfléchir. Si le mouvement qui s’est si vivement et si soudainement déclaré il y a un mois ne s’est point démenti il y a six jours, ce qui s’est passé à Bruxelles et dans quelques autres villes révèle néanmoins une situation où l’opinion reste assez impressionnable, assez facilement livrée aux influences contraires. Les libéraux ont perdu le pouvoir par leurs fautes, cela n’est pas douteux ; ils se sont compromis par leur politique de secte, par la triste manie de tourmenter les sentimens religieux et conservateurs du pays, comme par leur imprévoyance financière ; et c’est ce qui a détaché de leur cause bon nombre d’électeurs modérés qui sont allés à l’opposition par crainte du radicalisme. Les catholiques, à leur tour, compromettraient sûrement le succès qu’ils ont obtenu, la position qu’ils viennent de reconquérir, s’ils se laissaient aller à abuser de leurs avantages et à inaugurer une politique de réaction à outrance, s’ils oubliaient que la victoire n’a été possible que par l’alliance de tous les modérés, avec qui ils ont fait cause commune dans la dernière lutte, et qu’ils s’aliéneraient infailliblement par des excès de domination. C’était déjà vrai avant les élections sénatoriales, c’est bien plus vrai encore après ces élections.