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voir dans ces incidens toujours possibles dans un pays de grande liberté les préliminaires d’une révolution. Ce n’est pas la première fois que l’Angleterre a vu se produire des agitations de ce genre, et elle s’en est toujours tirée. Après tout, de quoi s’agit-il ? Les conservateurs anglais ne sont pas absolument opposés à l’extension du suffrage, et s’ils revenaient demain au pouvoir, ils prendraient vraisemblablement à leur compte la réforme qu’ils combattent, comme ils l’ont fait il y a, déjà bien des années avec M. Disraeli, devenu depuis lord Beaconsfield. Dernièrement même l’amendement de lord Cairns se bornait à demander que le nouveau système des circonscriptions électorales ne fût point séparé de l’extension du suffrage. C’est ce qu’avaient demandé dans la chambre des communes des conservateurs comme sir Stafford Northcote, et même quelques libéraux. D’un autre côté, M. Gladstone, à ce qu’il semble, n’a jamais entendu que le nouveau droit de suffrage fût appliqué avant le vote des circonscriptions électorales, et il ne paraît pas se refuser à joindre les deux questions : de sorte qu’on a déjà les premiers élémens d’une transaction, et c’est toujours par des transactions opportunes que toutes les agitations ont fini en Angleterre, sans dégénérer en irréparables conflits, périlleux pour tout le monde.

La Belgique fait encore parler d’elle. L’évolution qui a commencé pour les Belges avec les élections du 10 juin, qui s’est manifestée par la victoire des catholiques ou des nationaux indépendans, était-elle un accident, une œuvre de circonstance et de hasard ? Était-elle, au contraire, le résultat d’un mouvement d’opinion dès longtemps préparé et assez sérieux pour être persistant ? S’il y avait encore quelque incertitude après un premier vote, qui par lui-même paraissait pourtant assez décisif, le doute n’est plus possible après le scrutin ouvert il y a six jours, le 8 juillet, pour le renouvellement du sénat.

Ce que les élections des députés avaient commencé il y a un mois, les élections sénatoriales viennent de l’achever. La question est désormais tranchée par un nouveau et sensible succès du ministère de M. Malou et de son parti, par une manifestation nouvelle de l’opinion. Les catholiques ou « les nationaux indépendans, » puisqu’ainsi s’appellent les vainqueurs du jour en Belgique, ont gardé l’avantage presque partout, et même dans certaines villes sans contestation, sans rencontrer de concurrens. Ils n’ont pas seulement gardé les sièges qu’ils avaient, ils en ont conquis trois à Anvers, quatre à Gand, deux à Soignies, deux à Verviers, un à Ath. A Gand, notamment, ils ont eu une majorité de 400 voix. Les libéraux, il est vrai, ont eu un dédommagement d’amour-propre, ils ont trouvé dans le scrutin du 8 juillet de quoi panser leur blessure du 10 juin. Vaincus il y a un mois, même à Bruxelles, qui, pour la première fois depuis un demi-siècle, a élu des députés catholiques, ils ont cherché à prendre leur revanche dans les élections sénatoriales. Ils ont employé les quelques semaines qui