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parlementaires dans la chambre des communes, ce n’était rien ; la majorité ministérielle, on le savait, était assez forte pour assurer le succès du bill en dépit des résistances qui se sont manifestées même parmi des libéraux comme M. Goschen ; et le chef du cabinet était toujours là pour rallier son parti. Le jour où la question, victorieusement tranchée par les communes, a été portée devant la chambre des lords, tout a changé de face ; le conflit était à peu près inévitable. Les tories, tout-puissans parmi les lords, ne cachaient pas leur intention de combattre la réforme à outrance, et ils ont convoqué pour la circonstance jusqu’aux pairs qui ne paraissent jamais aux séances du parlement. Il y a eu jusqu’à trois cent cinquante membres présens. Vainement des hommes comme le duc d’Argyll ont défendu la nouvelle réforme électorale ; lord Salisbury et ses amis de l’opposition conservatrice l’ont combattue avec acharnement. Il faut distinguer néanmoins : ce qu’un certain nombre de pairs ont combattu dans le bill, ce n’est pas précisément le principe de l’extension du suffrage, c’est le système ministériel ; et l’ancien chancelier, lord Cairns, a même présenté sans succès un amendement qui tendait à rectifier ou à compléter ce système. Toute cette discussion, qui a duré plusieurs jours, a été certes aussi brillante que forte, et elle s’est terminée en définitive par la victoire des tories les moins concilians, par un vote qui a rejeté purement et simplement le bill à une majorité de cinquante-neuf voix. Dès lors la lutte était engagée, et M. Gladstone, loin d’être découragé ou affaibli par le vote des lords, s’est trouvé au contraire relevé dans son rôle de chef libéral ; il a puisé dans cette situation une force nouvelle et est redevenu d’un seul coup le ministre indispensable. Le chef du cabinet a aussitôt réuni ses amis et il leur a fait part de ses résolutions, qu’il a du reste communiquées à la chambre des communes sur une interpellation qui lui a été adressée. Il a été décidé que la session serait très prochainement interrompue, qu’on mettrait de côté pour le moment tout ce qui n’a rien d’urgent, notamment le bill sur la réorganisation municipale de Londres, et que le parlement serait de nouveau réuni au mois d’octobre pour reprendre la réforme électorale. D’ici là les partis se mettront en campagne pour conquérir l’opinion. Les meetings vont se succéder dans toute l’Angleterre ; l’agitation va se propager avec le concours et sous les auspices du gouvernement lui-même pour avoir raison de la résistance de la chambre des lords. En un mot, le conflit va passer des chambres dans le pays, en attendant de revenir plus violent et plus aigu dans le parlement.

C’est assurément une crise grave qui pourrait devenir une épreuve dangereuse pour les institutions britanniques, pour les privilèges héréditaires des lords, pour l’organisation politique et même sociale de l’Angleterre. Il ne faudrait pas cependant aller trop vite et se hâter de