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« Moi ! j’ai perdu ma sœur ! et qui est-ce qui vous a fait ce conte-là ? — Pardieu, c’est vous ! — Chansons ! chansons ! » Et quand la reconnaissance des gens qu’il a servis par ces expédiens hésite, quand la rancune des gens qu’il a dupés murmure, il s’étonne et se justifie : « J’ai causé une peine cruelle à madame, j’en conviens ; mais j’en ai fait cesser une longue et plus cruelle. J’ai ramené madame à l’équité, à sa bonté naturelle ; et sous quelque face que mon procédé soit considéré, s’il en résultait à l’avenir son propre bonheur, celui de mademoiselle sa fille… » D’ailleurs, en toutes ses fictions, échauffé par le désir du succès, il est presque sincère : « Qui est-ce qui n’y aurait pas donné ? s’écrie le premier commis de la marine. Il en avait les larmes aux yeux ! » C’est bien les larmes de Diderot que nous voyons dans les yeux de M. Hardouin.

Toujours généreuses, toujours faciles à couler, ces larmes, toujours au service de la vertu. Aussi bien, saluons ici le Diderot amoureux des cas de conscience, qui soumettait volontiers à Mlle Volland des questions comme celles-ci, et répondait par l’affirmative : Une femme qui a « six enfans, peu de fortune, un amant, un mari, » et qui sollicite un emploi pour ce mari, (peut-elle payer cet emploi d’une minute de complaisance ? Une fille « qui a le sens assez droit pour sentir que le mariage est un sot et fâcheux état, et qui a le cœur assez bon pour vouloir être mère, » peut-elle se faire faire un marmot par le philosophe ? C’est encore ici le casuiste de l’Entretien d’un père avec ses enfans, qui prononce qu’en certaine occurrence, et pour le bien des pauvres, on peut supprimer un testament, et « qu’à la rigueur, il n’y a g point de lois pour le sage. » A quoi le père, plus sage en vérité, répond spirituellement : « Je ne serais pas fâché qu’il y eût dans la ville un ou deux citoyens comme toi ; mais je n’y habiterais pas s’ils pensaient tous de même. » Enfin, et surtout, c’est l’entrepreneur de bienfaits qui écrivait à son ami : « J’ai trouvé toutes sortes de protections auprès de M. Dubucq ; c’est lui dont le sort de mon petit cousin dépend. Quelqu’un de ces jours je dresserai un placet, rempli de mensonges les plus honnêtes et les plus pathétiques, il sera présenté, et je vous chargerai de chercher mon absolution dans Suarez et dans Escobar. Ces gens-là auront apparemment décidé qu’il est permis de faire un petit mal pour un grand bien, et ma conscience sera tranquille. » Habemus confitentem

Hardouin est galant : comment ne le serait-il pas ? S’il promet une pièce à Mme de Chépy, c’est par égard pour sa femme de chambre, Mlle Beaulieu, qu’il trouve « fort aimable : et pourquoi pas ? Aucun état n’a le privilège exclusif de cet éloge. » Mme de Vertillac, la mère qu’il « met à la raison, » naguère il l’a mise à mal. Mais ce qu’il faut admirer, c’est son attitude et son style auprès de Mme Bertrand, la veuve du marin, cet accord de compassion et de passion en sourdine, ce