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calendrier positiviste, il se pourrait que tous les amis de Diderot ne fussent pas au rendez-vous.

M. Pierre Laffitte, en ce jour solennel, fera une conférence au Trocadéro ; après quoi, si l’on ne s’est ravisé d’ici là, M. Coquelin aîné, assisté de Mlle Pierson, jouera l’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de*** : c’est un projet, paraît-il, que M. Coquelin caressait depuis longtemps. Les conservateurs des reliques de M. Gambetta, qui ne nous laissent ignorer aucune de ses bonnes pensées, nous ont fait savoir que, d’après l’intention de cet illustre ami, le comédien devait risquer l’entreprise dans une des soirées du Palais-Bourbon. C’était, comme on sait, des soirées d’hommes ; la plupart connaissaient Diderot comme un des auteurs de l’Encyclopédie, et l’Encyclopédie comme une machine de guerre contre l’ancien régime : Diderot, en somme, était un adversaire du Seize-Mai. Danton n’ayant pas laissé de proverbes, on ne pouvait trouver mieux qu’un ouvrage de Diderot pour purifier la maison empestée par Monsieur Choufleuri. Tout de bon, ce devait être un divertissement curieux entre deux cigares : l’athéisme et le tabac seraient secs, aucun des invités ne s’en fâcherait. Cette recherche d’une pièce rare et de bonne qualité littéraire prouvait l’instinct artistique du méridional qui ne se cachait pas d’égaler Périclès ; point de meilleure occasion pour ce dialogue. Hélas lia mort a décommandé les acteurs. M. Coquelin pourrait donner la première représentation de l’Entretien pour un « bout de l’an » laïque de son ami ; ensuite il en trouverait l’emploi dans telle soirée de contrat précédant un mariage civil qui ne serait suivi d’aucune consécration religieuse. Si cette mode prenait, les catholiques en seraient quittes pour faire jouer en matinée, entre la mairie et l’église, la Partie de dames, de M. Feuillet, où l’on voit la bonne Mme d’Ermel convertir son vieil ami le docteur Jacobus : ce serait de franche guerre. Mais, pour commencer, M. Coquelin a trouvé de l’opportunité au centenaire de Diderot ; il l’a donc choisi ; et c’est sur la scène du Trocadéro que Mlle Pierson, désignée pour sa partenaire, lui donnera la réplique.

Cette publicité, pour l’Entretien d’un philosophe avec la maréchale de ***, est-elle bienséante ? Est-elle avantageuse ? Nous doutons sur le second point au moins autant que sur le premier. Que les positivistes aient pour ce dialogue une tendresse particulière, à la bonne heure ! Il est dirigé contre « un système d’opinions bizarres qui envoie le coupable demander pardon à Dieu de l’injure faite à l’homme, et qui avilit l’ordre des devoirs naturels et moraux en le subordonnant à un ordre de devoirs chimériques ; » si l’on veut le placer dans le bréviaire moderne, à merveille ! Mais le transporter sur la scène ! Le plus décidé libre penseur ose-t-il garantir que les convenances s’en accommodent ? Est-ce la religion, aujourd’hui, qui a perpétue dans la société entre les