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Glorieux de vertu d’abord, il s’en expliquait hautement : n’est-ce pas une condition pour être vertueux ? N’est-ce pas la première raison de l’être ? Aussi bien, lorsqu’on aime la vertu on veut qu’elle soit récompensée, et la. meilleure façon de l’affermir est de lui assurer sa récompense : « Il faut un salaire à l’homme ; montrez-lui sa statue quand il ne sera plus. » Voici la statue : elle s’élève déjà devant le Palais de l’Industrie ; elle entendra les applaudissemens. Enfin Diderot, enthousiaste en chambre, estimait à haut prix l’enthousiasme en plein air et les démonstrations publiques. L’idée du roi de Danemarck, un jour acclamé par ses sujets et jetant son chapeau en l’air, le faisait tressaillir de joie : « Ce chapeau jeté en l’air marquait une âme bien enivrée ! » Il n’est pas jusqu’aux pompes catholiques dont il n’admirât les beautés comme des occasions de s’émouvoir et de se sentir des larmes ; il faut voir comme il parle de « notre Adoration de la croix au vendredi saint, et de la procession de la Fête-Dieu. » Va donc pour un centenaire !

Nous le voudrions même, ce centenaire, sinon plus populaire qu’il ne sera, du moins célébré par un concours plus large d’amis. Diderot en a beaucoup, et c’est justice : n’a-t-il pas, de son vivant, assez sacrifié à l’amitié ? Il en a de plusieurs sortes et de plusieurs origines : il est si varié ! Je vois bien que dans le comité qui s’est donné le gouvernement de cette fête, quelques diversités ont des représentans. M. Sully-Prudhomme, sans doute, honore le saint que l’on chôme pour ce que sa philosophie a de plus solide et de plus pur, son caractère de plus généreux et de plus délicat. M. Renan le goûte à sa manière, qui n’est pas celle de tout le monde, et peut-être parce que M. Renan n’a le dégoût de rien ; il savoure Diderot, et ne montre pas qu’il le trouve rode : quelle différence pourtant de ce bourgogne à son délicieux lacryma-christi ! Mais Renan et Sully-Prudhomme ne sont ici que des noms et pour l’affiche : il ne paraît pas que ces messieurs aient pris grande part à l’organisation de la fête. Ils ne sont que du dehors et de la grande famille des fidèles ; les gens d’une communauté plus étroite ont mis la main sur le mort : M. Pierre Laffitte, qui tient un rang distingué dans le sacerdoce positiviste, est le président du comité. Il se conçoit, assurément, que les disciples d’Auguste Comte éprouvent une admiration particulière pour l’auteur de l’Interprétation de la nature, de l’Entretien avec d’Alembert, du Rêve et de certaine lettre à Landais ; plusieurs d’entre eux ont accepté du maître sa doctrine tournée en religion ; ils pratiquent, à son exemple, un culte de l’humanité représentée par les grands hommes ; on s’étonnerait que celui-ci eût échappé à leur piété. Ce qui nous affligerait seulement, ce serait que leur zèle fit d’une grande fête un exercice de superstition domestique et que le 30 juillet de cette année, au lieu d’être le 30 juillet, fut le seizième jour du Mois de Dante (épopée moderne) : convoqués selon le