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vouloir que l’ouverture indique le« sujet » de la pièce ? Erreur évidemment surprenante dans un pareil esprit. Mais, au lieu de reproduire ce seul exempte d’Orphée, pourquoi les adversaires de l’école de l’expression ne choisissent-ils pas aussi bien la scène des enfers dans ce même opéra ? Pourquoi pas des pages sans nombre des deux Iphigénie ? Le premier acte d’Alceste tout entier ? Et surtout l’admirable scène d’Alceste aux enfers, intercalée par Berlioz dans la partition française ? Non, certes, les exemples d’union intime de la musique et de la poésie ne manquent pas dans Gluck. Les séparer pour ne laisser à la musique que son rôle individuel, n’est-ce pas lui enlever toute raison d’être ? Nous avons tantôt nommé Haydn. Il est heureux, avouons-le, que l’auteur de la Création n’ait pas connu ces théories ; il nous eût privés peut-être de quelques pages merveilleuses. Mais celui-ci croyait à la musique, naïvement, avec sa grande foi d’artiste, et nulle autre doctrine que celle de l’inspiration ne sut l’inquiéter. Tout le monde connaît le premier chœur de la Création, Haydn va traduire les paroles de la Genèse : « Que la lumière soit, et la lumière fut ; » et, par un artifice enfantin de composition, par un simple changement de mode, mais par un trait sublime de génie, le maître allemand déchire tout à coup le voile qui nous couvrait les yeux et nous inonde, pour ainsi dire, des flots de la lumière naissante. Cette musique, comment l’appellera-t-on ? Pittoresque, descriptive ou sentimentale ? Qu’importe ? Sans cette foi immense dans le pouvoir absolu de son art, Schumann nous eût-il jamais dévoilé les visions mystiques du second Faust ? Entendrions-nous la touchante prière du doctor Marianus, ravi en extase, et le chœur si tendre et si pur des anges emportant dans les hautes sphères la partie immortelle de Faust ?

Nous aussi, comme le critique viennois, nous pourrions donc citer des milliers d’exemples à l’appui de notre thèse, et prouver, par la musique instrumentale comme par la musique dramatique, que certains sentimens peuvent être clairement exprimés. La marche d’Alceste n’évoque-t-elle pas dans l’esprit une pensée religieuse ? Et, pour donner des exemples peut-être mieux connus, la fête chez Capulet, dans le Roméo et Juliette de Berlioz, n’aura-t-elle pas toujours sa joie et sa mélancolie ? Pour en revenir au poème lyrique, l’invocation à la nature, dans la Damnation de Faust, saurait-elle se prêter à d’autres sentimens ? Pourrait-on, sans un grave attentat, modifier la pensée de Wagner, lorsque l’Elsa de Lohengrin, dans un appel sublime, implore un défenseur ? Assurément, nous ne nions pas que les exemples de fausse juxtaposition soient innombrables, même dans les maîtres ; par la raison que l’on ne peut demander à la musique de s’exprimer avec la précision de la parole, et parce