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jamais perdue. N’est-ce pas un mal que cet art de la grande diction et du vieux récitatif soit abandonné dans nos conservatoires, et que les efforts et la bonne volonté de rares professeurs viennent se briser contre une inexplicable routine ? Où peut-on entendre les meilleures œuvres de nos premiers maîtres, de ceux qui, par leur seul génie, nous ont donné un art national ? Lully, Rameau et Gluck, tout Allemand qu’il est, sont de ce nombre ; mais Gluck surnage encore, grâce aux tentatives de quelque imprésario intelligent et curieux de savoir comment on fait faillite, ou à quelque illustre interprète qui peut s’imposer au public. N’est-ce pas à la vaillance et au génie de Mme Viardot que la plupart doivent de le connaître ? Mais, lorsque, dans le cours de sa carrière d’enseignement, la même artiste a voulu faire exécuter par ses élèves du Conservatoire des airs de nos vieux maîtres, celui de Télaïre, par exemple, dans Castor et Pollux, ne s’est-elle pas heurtée au refus des jurys d’examen ? N’est-ce pas à de tels motifs, en grande partie, que nous devons ces chanteurs sans style, dont le premier souci semble être de garder pour eux seuls, avec un soin jaloux, le secret des paroles ? Pour nous, nous ne saurions trop regretter que nos compositeurs négligent cette forme première de l’art, et ne se servent guère plus du récitatif que pour amener des cantilènes trop souvent, hélas ! taillées sur le même patron. Au temps dont nous parlons, la tragédie lyrique avait un but tout autre ; cependant ce qu’on est convenu d’appeler du nom de mélodie existait alors, comme on peut s’en convaincre, même par les premiers opéras de Lully. Mais le récitatif lui parut à bon droit le véritable caractère de la musique française. Du reste, ses élèves et ses successeurs se gardèrent d’y rien ajouter, ne fût-ce qu’un peu de génie, du moins jusqu’à Rameau. Campra, Destouches, et tous les autres ne sont que des imitateurs. Le premier survit encore par quelques mélodies d’Hésione et quelques ballets de l’Europe galante, le second, par son opéra d’Omphale et quelques airs d’Issé. Le principal mérite de leurs œuvres, toutes sorties du moule de Lully, est de rappeler qu’elles contribuèrent un jour à la fondation de l’opéra français.


II

Le XVIIe siècle musical se ferme sur Lully, mais la gloire du maître va grandir encore ; pendant plus d’un demi-siècle, il absorbera la pensée lyrique française, et ses opéras, Thésée, par exemple, continueront encore de se jouer à côté des plus belles œuvres de Gluck. Entre eux deux, Rameau seul apportera au théâtre d’autres ressources que ses devanciers. Nous ne parlons pas de ses travaux