Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/439

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

créer, pour ainsi dire, un genre lyrique si imparfait jusque-là. Après les premiers tâtonnemens, dans plusieurs œuvres aujourd’hui dénuées d’intérêt, il arriva enfin à écrire suivant des principes que le temps n’a pu vieillir.

Le premier, il eut le mérite de croire aux nobles qualités de son art. Il vit que la musique pouvait avoir son expression particulière et sa vérité propre, comme on en avait la preuve dans la musique religieuse italienne. Comme Gluck plus tard, il comprit le parti qu’il pouvait tirer de la langue française, de cette langue ferme, précise, harmonieuse, qui, soit dit en dépit de certaines superstitions écolières, se prête merveilleusement, et peut-être mieux que toute autre, à l’adaptation musicale. Il s’efforça donc de laisser à la parole son autorité, mais en la fortifiant par les sons. Il fit ce que la plupart des musiciens n’ont pas mieux fait depuis : il reconnut à chaque mot un accent, une valeur syllabique spéciale que le compositeur devait avant tout respecter ; ce en quoi il est précieux à étudier, ne fût-ce que pour prouver combien nos contemporains font bon marché de cette règle. Ainsi, le musicien devenait le héraut du poète, ce qui, d’ailleurs, n’enlève guère à son génie, mais ce qui montre combien il importe de mettre la main sur une œuvre véritablement dramatique.

On conviendra d’ailleurs que Lully, en prenant pour modèle la diction théâtrale, devait aboutir à une longue déclamation, presque semblable à une psalmodie. Il est certain qu’il s’éloigna, de parti-pris, de la méthode italienne et qu’il vit la seule vérité dans le récitatif. C’est là qu’il appliqua ses forces. Non pas, comme on l’a cru, que cette forme de l’art lui appartienne en propre. Il en avait emprunté à l’Italie le dessin et le procédé, car on l’y retrouve à peu près identique plus d’un siècle avant lui. Mais il l’a si complètement transfigurée par son génie, que là surtout on peut dire qu’il fut un créateur ; et que Gluck lui-même n’a pas tiré de ces formules monotones des accents plus justes et plus émouvans. Pour mieux voir à quelle puissance, à quelle hauteur peut s’élever le récitatif, qu’on prenne Armide, l’œuvre capitale du maître. Qu’on y fasse la part d’une orchestration assez maigre et d’une certaine aridité de forme, pour ne considérer l’œuvre qu’au point de vue dramatique et musical. C’est ici que le musicien s’est montré digne de ce nom du « grand Lully, » que les plus difficiles ne sauraient lui marchander, surtout en se reportant à une telle époque. Qu’on étudie l’admirable récitatif sur lequel l’enthousiasme d’un siècle ne s’est pas lassé, cette page immortelle où Lully a traduit la réponse d’Armide : « Le vainqueur de Renaud, si quelqu’un le peut être, sera digne de moi, » et que l’on compare la même pensée