Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 64.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

prononcer en toutes les matières d’importance et ne laisse à ses agens extérieurs d’autre mission que d’exécuter les décisions rendues par elle. Plus le ministre des travaux publics sera actif et énergique et plus il tiendra à tout voir par ses yeux, et plus petite, par conséquent, sera la liberté d’action laissée aux agens secondaires de l’exploitation. Ce n’est pas une moindre illusion que d’attendre de l’état une solution plus prompte et plus favorable des litiges provoqués par des avaries ou par des retards dans le transport. Les agens du gouvernement appréhenderont toujours d’engager leur responsabilité en accueillant trop facilement une réclamation ou en se prêtant à une transaction. Comme les frais de justice ne les concernent pas et sont de peu d’importance pour le gouvernement, ils renverront tous les litiges, toutes les réclamations, même les mieux fondées, à la décision des tribunaux. Les procès se multiplieront donc avec l’exploitation par l’état, et il en coûtera aux particuliers plus de temps, plus d’argent, et plus de démarches pour obtenir justice. A l’appui des appréhensions qui ont été exprimées devant elle, la commission cite l’exemple de la Belgique et invoque le témoignage d’un député belge, M. Lehardy de Beaulieu, qui a dit, dans son rapport sur le budget des travaux publics pour 1881 : « L’état, exploitant des chemins de fer, a voulu et veut encore se soustraire à cette obligation de droit commun (l’article du code de commerce qui rend le voiturier responsable de la marchandise). Il a invoqué tous les prétextes pour s’en dégager. Il fait lui-même, sans le concours de la législature ni des intéressés, des règlemens et des tarifs qui mettent tous les risques à la charge du public, sauf certaines indemnités dérisoires et qu’il ne paie pas toujours de bonne grâce sans essayer de s’y soustraire. » Après un témoignage aussi accablant, est-il nécessaire de rappeler que, lorsque les chambres de commerce françaises se sont prononcées presque unanimement contre le rachat des chemins de fer et leur exploitation par le gouvernement, les argumens sur lesquels elles ont insisté avec le plus de force ont été la suppression qui en résulterait de tout contrôle effectif sur l’administration des voies ferrées et l’impossibilité où les particuliers se trouveraient d’obtenir justice contre les agens de l’exploitation, transformés en fonctionnaires publics ?

Entre les mains des compagnies l’exploitation revêt un caractère exclusivement commercial. On recherche dans les agens les aptitudes spéciales au service dont ils doivent être chargés ; on ne considère point qu’un examen théorique ou un brevet d’ingénieur rend le même homme capable indifféremment de diriger la traction, l’entretien, ou les ateliers, de passer des marchés, d’acquérir