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budget et astreint à suivre des règles obligatoires. Il ne peut profiter des fluctuations du marché pour acquérir d’avance et à bon compte des rails, des traverses, des accessoires, pour l’achat desquels il n’a point été ouvert de crédit. Les mêmes inconvéniens sont bien plus sensibles encore en matière d’exploitation. On a cité, dans l’enquête, l’exemple de l’administration des chemins de fer toscans, qui, en faisant à propos des achats considérables de charbon de terre, réussit à se soustraire au contre-coup de la hausse de plus de 20 pour 100 qui se produisit, en 1854, dans le prix de ce combustible à la suite de l’envoi des flottes alliées dans la Mer-Noire. Contraint de se renfermer dans les limites de son budget, un ministre des travaux publics ne pourrait agir de même ; les achats de prévoyance lui sont interdits. Quant au trafic, en quoi son développement importerait-il à des fonctionnaires sur l’avenir desquels il n’exercerait aucune influence, et qui, encadrés dans une hiérarchie, attendraient leur avancement ou de leur ancienneté ou de l’influence de leurs protecteurs ? Les compagnies, au contraire, énergiquement stimulées par l’intérêt, se tiennent aux aguets de tout ce qui peut accroître leur trafic, ne reculent pas devant des expériences, devant l’octroi de rabais ou de facilités nouvelles pour tenter les expéditeurs, et récompensent généreusement ceux de leurs agens qui savent découvrir où faire naître de nouveaux élémens de transport.

La plupart des déposans n’entrevoyaient donc pas sans appréhension le remplacement d’hommes d’affaires expérimentés, facilement accessibles, avec lesquels il est toujours possible de négocier et de transiger, par une bureaucratie revêche, appliquant inexorablement des règles inflexibles. En vain faisait-on valoir que le service des postes et des télégraphes donne lieu à peu de plaintes : on répondait qu’il s’agit là d’un simple service de transmission dont la ponctualité est la seule obligation, qui est invariable de sa nature, et qui n’a aucun caractère commercial. L’exploitation des chemins de fer se fait dans des conditions autrement compliquées et donne journellement naissance à une multitude de questions à débattre entre le transporteur et les expéditeurs. Il est indispensable que ces questions soient tranchées avec une promptitude qu’il est impossible d’attendre d’une administration publique esclave du formalisme officiel et qui n’a aucun intérêt à abréger les lenteurs de sa procédure. Ceux qui croiraient remédier à ce grave inconvénient en créant des directions sur divers points du territoire sont victimes d’une illusion ; ces directions seraient astreintes à suivre un code de règlemens uniformes et n’auraient aucune latitude d’appréciation. Il est, d’ailleurs, de l’essence de toute bureaucratie que l’autorité centrale attire toutes les affaires à elle, se réserve le droit de