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dépenses en accordant des subventions ou des garanties d’intérêt pour la construction d’un second ou d’un troisième réseau. L’état serait plutôt tenté de se créer un supplément de revenu à l’aide des chemins de fer, et il importe essentiellement que l’industrie des transports ne puisse être transformée en un instrument de fiscalité. Confier l’exploitation à l’état, c’est rendre celui-ci maître absolu des tarifs, et c’est exposer le pays à l’un ou à l’autre de ces deux inconvéniens. Ou le gouvernement, cédant aux sollicitations de certains intérêts, abaissera les tarifs au-dessous de la juste mesure, et il devra couvrir les pertes de son exploitation par un prélèvement sur les recettes du budget, c’est-à-dire par une aggravation de l’impôt ; ou, dans un cas de gêne financière, pour échapper à l’impopularité qui s’attache à l’établissement de toute contribution nouvelle, il essaiera de combler le déficit au moyen d’un remaniement des tarifs. Le monopole des transports se traduira, comme tous les autres monopoles gouvernementaux, par un accroissement constant des charges imposées au public. La sécurité des opérations commerciales, qui est étroitement liée à la stabilité des tarifs, trouve, au contraire, des garanties sérieuses dans la résistance que les compagnies ne manqueraient pas d’opposer soit à des élévations de tarifs qui compromettraient leur trafic, soit à des abaissemens irrationnels qui détruiraient leurs recettes. Le monopole de l’état ne serait pas non plus sans inconvéniens pour les consommateurs : le gouvernement serait sans cesse sollicité de modifier ou de supprimer les tarifs internationaux qui permettent à certains produits étrangers de pénétrer au cœur du pays et de faire concurrence à la production indigène, et souvent il lui serait impossible de résister à la pression des intérêts coalisés.

Ces intérêts, lorsqu’ils ne poursuivent que des satisfactions légitimes, ont-ils moins à attendre des compagnies que de l’état ? Le croire serait supposer que des hommes d’affaires, obligés d’assurer une rémunération à leurs capitaux, se méprendraient étrangement sur la direction à donner à leur entreprise. La vérité est que, par déférence pour le gouvernement, qui s’est réservé l’approbation des horaires et la fixation du nombre des trains, les compagnies s’imposent parfois des sacrifices fort onéreux. Ainsi, la Compagnie des chemins méridionaux a dû établir entre Pescara et Ancône un train direct qui, en 1878, a transporté par jour un quart de voyageur en première classe, un voyageur de deuxième classe et trois quarts de voyageur de troisième classe, pour une dépense quotidienne de traction qui s’élevait à 800 francs. Quelle commission du budget, si un pareil fait lui apparaissait dans l’examen des comptes d’exploitation présentés par un ministre des travaux publics, en tolérerait