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nombreux, avec ses vallées fertiles, avec ses produits variés, l’Italie possède de précieux élémens de richesse ; mais ils ont besoin d’être fécondés : l’agriculture est arriérée, le commerce est timide, l’industrie ne fait que de naître. Dans quel pays est-il plus nécessaire que l’exploitation des voies ferrées soit en harmonie avec les légitimes exigences de ces grands intérêts ? À ces raisons s’ajoutent encore les considérations politiques. Si, malgré la pénurie des finances, le gouvernement s’est imposé de lourds sacrifices pour construire ou faire construire les chemins de fer, c’est parce qu’ils étaient indispensables pour relier entre elles les diverses parties de la monarchie et cimenter l’unité nationale. Enfin l’expérience des dernières guerres a démontré qu’ils étaient un puissant instrument d’attaque et de défense. On peut donc dire que l’exploitation des chemins de fer est une des fonctions naturelles de l’état tel que nous le comprenons aujourd’hui, et qu’à titre de représentant et de protecteur des intérêts de tous, il ne doit pas s’en dessaisir.

En outre, les chemins de fer constituent un monopole de fait. A la différence de l’industrie, ils n’ont pas devant eux le frein de la concurrence. S’ils ont parfois à lutter contre d’autres voies ferrées, contre la navigation sur les fleuves ou les canaux, ou contre la navigation maritime, il en résulte bientôt ou la ruine des compétiteurs les plus faibles ou un accord aux dépens du public. On a vu, aux États-Unis et en Angleterre, la concurrence disparaître, le monopole devenir absolu, et le commerce et l’industrie tomber à la merci des compagnies, qui, par leurs tarifs et leurs règlemens, pouvaient favoriser ou ruiner certains centres de production ou de consommation. Il en résulte des irrégularités et des pertes sans nombre pour les particuliers et un préjudice général pour l’ensemble de la nation. On n’a point le droit de demander aux compagnies de faire passer les intérêts généraux avant ceux de leurs actionnaires. Elles poursuivent un but commercial, qui est de retirer un produit des capitaux considérables qu’elles ont engagés dans ces grandes entreprises ; elles ont le devoir de satisfaire aux engagemens qu’elles ont contractés vis-à-vis de leurs prêteurs et d’assurer une rémunération aux fonds qu’elles ont fournis directement. On ne peut donc ni exiger ni attendre d’elles des sacrifices sans compensation.

L’état, au contraire, ne fera jamais de l’exploitation des chemins de fer une spéculation. Ce n’est pas un bénéfice qu’il cherche, c’est un service public qu’il assure, et il pourvoirait à l’exploitation quand même elle devrait se traduire par une perte, comme il arrive sur les lignes sardes et siciliennes. Si donc l’état exploitait lui-même, il ne s’inspirerait que de l’intérêt général. Il pousserait de toutes ses forces et à tout prix au développement du trafic, parce